QUELLE POLITIQUE POUR FAIRE FACE AU PROBLEME DU CHOMAGE DES DIPLOMES ?PAR PR BANO BARRY

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Dans le Monde, il y a eu maintes initiatives essayées pour résorber et/ou limiter le chômage des diplômés du système éducatif. Ces initiatives sont souvent identiques (les uns s’inspirant des exemples réussis des autres), parfois spécifiques en fonction du tissu économique, des contraintes budgétaires et des enjeux politiques du moment.
Ce qui a été constant dans ces différentes politiques c’est la volonté d’agir soit sur des facteurs structurels (pour affecter les fondements de l’économie) soit sur des aspects conjoncturels en attendant, par exemple, la reprise de la croissance économique mondiale pour soutenir des exportations et par ricochet la production industrielle. Comment inverser la tendance ? Je propose la mise en place de réformes structurelles accompagnées par des mesures conjoncturelles ciblées.
1) MESURES STRUCTURELLES
Les Guinéens doivent se convaincre que c’est le secteur privé qui est le créateur de l’emploi. Personnellement, je ne suis pas un libéral, mais un pragmatique. Je ne crois pas aux Lois du marché pour réguler de façon satisfaisante l’offre et la demande en matière d’emploi, mais l’État « employeur » n’a pas fait la preuve de sa capacité. Donc et en attendant de voir surgir un modèle concurrent à celui du monde libéral et occidental, il ne reste que le secteur privé qu’il ne faut ni aimer ni détester, mais encourager et encadrer.
Pour amener le privé à créer de l’emploi, il faut assainir l’environnement du pays (les facilités pour l’investissement, la fiscalité, le crédit, l’amélioration des infrastructures, la réduction de la corruption, la paix sociale et politique, etc.). C’est facile à dire, mais difficile à faire surtout lorsqu’on compte sur la classe politique (ceux qui dirigent et ceux qui aspirent à le devenir) pour apaiser le climat social et rompre avec la culture de « l’échec de l’autre est plus important que ma réussite ».
L’amélioration de l’attrait de la Guinée pour les investisseurs nationaux et internationaux réside moins dans les discours (les mauvais propos ou les propos déplacés ont plus d’effets que les bonnes paroles) que dans l’effectivité de la mise en œuvre des politiques par une meilleure utilisation des ressources de l’État pour faciliter les investissements (infrastructures et ressources humaines).
Parallèlement à cet effort sur l’environnement du pays pour encourager les investisseurs nationaux et attirer ceux étrangers, il faudra redéfinir la finalité de l’école guinéenne. Car les déscolarisés de l’école et les diplômés du système éducatif sont plus problématiques en matière d’emplois que les non scolarisés : « Les premiers quittent l’école sans qualification et les seconds avec des qualifications théoriques, des compétences limitées et des ambitions démesurées ».
L’école guinéenne doit se reformer pour cesser d’être simple pourvoyeuse de demandeurs d’emplois afin de participer à la création des créateurs d’emplois avec notamment la mise en place de nouvelles écoles tournées vers l’auto-emploi comme les écoles de métier adaptées aux secteurs productifs.
Ces écoles, si un jour elles étaient créées et rendues fonctionnelles, devraient éviter de viser la massification des effectifs et le populisme pour se concentrer sur l’efficacité et l’efficience. Il est préférable d’avoir vingt diplômés qui montent des entreprises et les font fonctionner que d’avoir une masse de diplômés sans avenir qui ne connaissent que les cafés, les maquis, le bavardage politique et la rue.
Étant donné la désaffection de l’enseignent technique et professionnelle par les populations guinéennes et l’intérêt pour le pays d’avoir le plus grand effectif de ses enfants dans ce sous-secteur, il est temps de changer de stratégie. L’une des pistes pourrait être d’intégrer l’enseignement technique et professionnel dans le parcours linéaire de l’enseignement général actuel.
D’autres pays comme le Canada ont déjà réussi ce schéma. Cette intégration de l’enseignement technique et professionnel dans le parcours « normal » vers l’université devrait permettre de rompre sa marginalité et l’idée qui s’y rattache selon laquelle « l’enseignement technique et professionnel est une voie de recours pour ceux qui ont échoué ».
Naturellement, je sais que cette proposition n’a aucune chance de retenir l’attention, car l’intégration de l’enseignement technique et professionnelle dans le dispositif global de l’enseignement général signifie la fin d’un ministère et donc d’un ministre, de son cabinet, des directions, de leurs cadres et des budgets qui s’y rattachent.
En faisant cette mutation de l’école guinéenne, la Guinée s’inscrira dans la vision de l’UNESCO qui, lors de sa 32ème session en septembre et octobre 2003, encourage les décideurs à reformer le système éducatif afin de former au niveau du supérieur, non seulement des chercheurs d’emplois, mais également des créateurs d’emplois.
Cette révolution de l’école guinéenne passe aussi par une utilisation judicieuse des maigres ressources de l’État pour encourager certaines filières porteuses d’emplois et réduire le trop plein vers d’autres. Au lieu de réserver les bourses d’entretien aux secteurs porteurs qui impactent le futur de la Guinée, on continue à « vacciner » les étudiants pour acheter la « paix ».
Dans cette nouvelle école guinéenne, il faudra s’assurer d’avoir une meilleure adéquation avec des métiers émergents et les besoins des partenaires du monde du travail. La connaissance du futur et des besoins des partenaires exigent la mise en place d’une et/ou de plusieurs structures de recherche comme le centre d’étude et de recherche sur les qualifications (CERQ) en France qui doit jouer le rôle d’interface d’aide aux stages et à l’emploi. On va me dire qu’il y a l’Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi (AGUIPE), je vais y ajouter qu’elle n’a ni les moyens ni les ressources financières, matérielles et humaines pour jouer ce rôle. En plus de la mise à disposition de moyens, il est essentiel d’accompagner le développement de cette agence par une assistance technique conséquente et durable pour asseoir une culture d’aide au stage et à l’emploi.
De même qu’il est nécessaire d’avoir des formations pointues pour répondre à des demandes précises et à la nécessité du renouvellement des élites, il est aussi indispensable de proposer des offres de formation associées à un éventail de métiers le plus large possible pour tenir compte de la nécessité d’une flexibilité et d’une polyvalence que recherche souvent le marché de l’emploi. Cette idée questionne le LMD dans son caractère disciplinaire qui facilite les enseignements mais pose des problèmes d’utilisation des diplômés en dehors de la discipline pour laquelle ils ont été formés. Peut-être des Licences bi-disciplinaires, comme sous la première République, seraient envisageables.
La professionnalisation des formations a commencé timidement dans l’enseignement supérieur. Cependant, la création de nouvelles filières de formation est tributaire de ressources humaines capables d’enseigner et d’encadrer. La création de nouvelles filières, même lorsque le besoin existe, exige la formation des ressources humaines. La Guinée a un besoin pressant de démographes, de criminologue, de psychologue (les effets des épidémies sur les individus le prouvent), mais il n’y a aucune politique de formation au second et au troisième cycle pour ouvrir ces formations.
Ce qui n’est pas fait et qui semble difficile au système éducatif guinéen est l’optimisation de l’information et de l’orientation d’abord des élèves au lycée et des étudiants à la rentrée à l’enseignement supérieur.
Des tentatives de partenariat avec le marché du travail existent aussi avec certaines entreprises comme la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) et l’Institut polytechnique, mais le processus est timide et manque d’ampleur pour briser la chaîne de méfiance de deux institutions (formations et employeurs). Pourtant, l’ouverture au monde socioéconomique n’est pas seulement une question de placement des diplômés dans le circuit de production, c’est aussi une condition pour actualiser et rendre pertinent les formations offertes dans le système.
Il faudra aussi encourager le système éducatif (universités et écoles techniques et professionnelles) à organiser des journées de l’emploi chaque année. Ces acteurs doivent apprendre à aller chercher les employeurs, les amener dans leurs propres campus, montrer les compétences de ses étudiants et apprenants en expliquant aux employeurs les formations assurées. Il ne s’agit pas de la « mamaya » organisée au palais du peuple pour vendre le visage d’un ministre à la presse. Il s’agit d’un processus plus professionnel et plus interactif entre employeurs, formateurs et demandeurs d’emplois.
Le monde de l’entreprise doit être au courant des compétences qui sont développées par le système éducatif (universités et écoles techniques et professionnelles). Cela passe en partie par une plus grande présence du monde du travail dans les Conseils d’administrations des universités, Écoles et autres institutions de formations, mais aussi par une utilisation judicieuse des professionnels dans les formations. Il semble que cela aussi est dans les textes, reste la mise en œuvre, comme toujours en Guinée.
La problématique de l’emploi est aussi une question de politique publique. Pour une plus grande efficacité, il y a obligation de cohérence. En Guinée, les politiques publiques en matière d’emploi sont prises en charge par trois ministères différents (le Ministère de la fonction publique et du travail en charge des emplois dans la fonction publique, celui de la jeunesse et de l’emploi des jeunes et de l’enseignement technique et professionnel) d’où la question de la synergie et de l’efficacité entre les différents services techniques. A mon avis, l’intégralité de l’emploi devrait rester à l’intérieur d’un seul ministère.
2) MESURES CONJONCTURELLES
En Guinée, la tendance des gouvernements successifs de la République de Guinée a été souvent d’agir sur des facteurs conjoncturels avec des projets destinés aux jeunes. On peut citer dans le vrac :
• Programme National de la Jeunesse de 2000 ;
• Le Programme d’appui à l’Emploi des Jeunes (PEJ Guinée) ;
• Fonds National pour l’Insertion des Jeunes (FONIJ) 2007 ;
• Booster les compétences et l’employabilité des jeunes (BOCEJ) ;
• Les recrutements dans la fonction publique en 2006, 2010, 2013. En 2021, il semble que l’on s’apprête à reproduire le schéma d’un recrutement massif autant pour compenser les départs à la retraite que pour répondre à une demande forte des jeunes qui sont ceux qui pourraient aller dans les rues en cas de manifestation politique.
Cependant, en dépit de ces différents projets mais aussi en dépit de l’action volontariste de l’État par des recrutements significatifs dans la fonction publique (surtout depuis 2006), la question de l’emploi et celle plus spécifique des diplômés de l’enseignement supérieur et des écoles professionnelles et techniques guinéen reste entière.
On peut et doit faire le reproche à l’État guinéen et aux partenaires techniques et financiers l’absence de synergie d’actions dans le montage et la mise en œuvre de ces différentes mesures conjoncturelles. Certaines de ces mesures conjoncturelles ont même eu de la difficulté à dépenser les fonds mis à disposition en raison de la faiblesse du montage des projets.
Pour les diplômés en situation de chômage, il est souhaitable de monter et de mettre en œuvre un projet conjoncturel pour rendre plus employable et très rapidement les diplômés actuels avec des dispositifs de contrats d’insertion professionnelle en entreprise et des initiatives innovantes comme des contrats de stage.
Un projet de cette nature a été tenté, mais je ne suis pas certain des résultats obtenus. Enfin, je concède que plusieurs de ces mesures ici présentées par moi ne sont ni nouvelles ni originales ni nécessairement miennes, mais elles ont le mérite d’avoir été éprouvées.
CONCLUSION
Le chômage est un phénomène planétaire. Il caractérise la situation des tous les pays du monde de ce XXIème siècle. Dans un monde où existe un divorce entre la possession de la force de travail et la propriété des moyens de production, il s’opère nécessairement un commerce : celui de la force de travail.
En ce sens, on peut dire que le chômage est intrinsèquement lié à l’idée de salariat, c’est-à-dire d’un contrat entre un travailleur et un employeur. Dans le système capitaliste dominant, le chômage apparaît donc comme une composante du système : il baisse pendant les périodes de croissance et monte en période de stagnation économique et de décroissance.
Le chômage est une donnée mondiale, mais tous les pays ne sont pas à la même enseigne. Chaque pays est un cas, même si les paramètres qui l’expliquent se recoupent souvent. Néanmoins, on peut admettre que le chômage dans n’importe quel pays est un révélateur de la situation économique et un indicateur de la nature des secteurs économiques dominants (industrie, services, agricole ou informel).
Dans le cas de la Guinée et de la quasi-totalité des pays africains, il faut ajouter à ces paramètres, dans le cas des diplômés du système éducatif, les failles du système éducatif, la faiblesse des enseignements apprentissages de l’enseignement pré-universitaire, la faiblesse de l’enseignement technique et professionnel et les dysfonctionnements de l’enseignement supérieur.
Pour dompter le chômage des jeunes, il est essentiel d’avoir des mesures structurelles et des mesures conjoncturelles. Les mesures structurelles sont lourdes et ne donnent des résultats qu’après plusieurs années. C’est pour cette raison qu’il faut avoir plusieurs mesures conjoncturelles segmentées pour palier à la lenteur des effets des mesures structurelles.
D’après les informations vérifiées, la Guinée possèderait une politique nationale de l’emploi. On peut aussi dire que, pour plusieurs raisons, cette politique n’a pas été en mesure de résoudre la question de l’emploi. Il me semble qu’on pourrait commencer par une évaluation de la mise en œuvre de cette politique pour déterminer, avec rigueur et objectivité, les succès, les échecs, les contraintes et les blocages.
A la suite de cet exercice qui doit combiner des regards internes et ceux externes, il sera possible de récrire une nouvelle politique de l’emploi qui devra distinguer les mesures structurelles et les mesures conjoncturelles. Cette politique devra aussi développer des stratégies différentes en fonction des segments des populations concernées par la problématique de l’emploi (jeunes sans instruction, jeunes déscolarisés, jeunes en formation et diplômés de l’enseignement technique et du supérieur).
Pr. Alpha Amadou Bano BARRY (Ph. D ; Sociologie), Enseignant- Chercheur, ancien Ministre de l’éducation
barybano@hotmail.com
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