Discours du président : Derrière cet argumentaire se cache la peur de l’isolement, la pression interne et le déficit de crédibilité. Une analyse de Saïkou BALDE

1974

Dans son discours du 28/02/2020, le président Alpha Condé a annoncé « un léger report » des élections législatives et du référendum. Comment comprendre son discours ? Parler, c’est sans doute échanger des informations ; mais c’est aussi effectuer un acte, régi par des règles précises, qui prétend transformer la situation du récepteur et modifier son système de croyance et/ou son attitude comportementale comme le disait Kerbrat-Orecchioni. Le discours du président a duré 4 min et 52 secondes. 8 paragraphes, 30 phrases et 518 mots.

La perspective de locution du président dans son discours comporte 50 % du présent, 30 % du passé et 20 % du futur. Et dans le groupe des temps commentatifs en discours, le présent implique une perspective de locution neutre « … Nous savons tous… », « … dans la nouvelle Constitution, nous avons dit, nous avons écrit que la Guinée est… », Etc. ; le passé, une perspective rétrospective (le rappel du président du rôle de la Guinée dans le panafricanisme depuis les indépendances) ; le futur, une perspective prospective (le report des élections). Le discours comporte 34 % de verbes, 31 % de Noms communs, 10 % de noms propres, 13 % d’adverbes et 12 % d’adjectifs.

Sur le fond, le président emploie le panafricanisme comme « INVENTIO ». Les arguments du président pour justifier le report des élections tournent essentiellement sur le panafricanisme comme mouvement politique qui tend à favoriser le rapprochement de l’union des pays et des cultures africaines. Il montre le rôle de la Guinée dans la construction de ce panafricanisme depuis 1958 dans les trois premiers paragraphes.

LE RAPPEL : « … La Guinée a été, depuis 1958, parmi les champions du panafricanisme. Nous savons tous les sacrifices que notre peuple a consentis pour soutenir les mouvements de libération. » « … Le président Mandela et son frère M’Beki ont eu l’entrainement militaire à Kindia… » « Rappelez-vous que le président défunt, Lansana Conté, dirigeait des contingents à partir de Boké… » « … Le MPLA a été fondé en Guinée ». « … Nous avons assisté nos frères d’Angola, de Mozambique et du Congo… »…

LA JUSTIFICATION : « … Et donc, c’est par responsabilité nationale et sous régionale que nous avons accepté un report léger de la date des élections… ».

L’INTERROGATION : « … Mais, la Guinée qui a été la patrie du panafricanisme, peut-elle s’isoler de ses pays frères ? … » L’interrogation, comme procédure oratoire, est évidemment pratiquée de plus en plus. Elle relève essentiellement du genre judiciaire. Le motif du report de la date se trouve bien évidemment dans cette interrogation. En dépit de l’Union européenne qui a battu froid, l’Union africaine a annoncé vendredi dernier (28/02/2020) le rappel de sa mission d’observation en Guinée. La CEDEAO a également annulé plusieurs missions en Guinée suite au calendrier du président et les problématiques autour de l’organisation des élections. Conséquences, le président se trouve isolé par les plus importantes institutions internationales.

Dans son discours, les familles de mots ou mots dérivés du « Panafricanisme » sont largement les plus cités. L’adjectif africain est celui qui est le plus cité et l’adjectif « guinéen » arrive à la 7e place (cité seulement deux fois).

Derrière cet argumentaire se cache la peur de l’isolement, la pression interne et internationale et le déficit de crédibilité de l’ensemble du processus électoral (de la détermination du cadre juridique des élections à la distribution des cartes d’électeurs).

Ce discours montre également la non-maitrise des institutions électorale (CENI, CC, etc.) du processus électoral. Le président décide de la date, des conditions d’organisation, d’un premier report sans consultation et d’un « léger report » (comme il le dit) sans consulter. Cela symbolise l’autocratie qu’il exerce sur les institutions.

Malgré son contrôle absolu sur le calendrier et le processus, il reste néanmoins inquiet il affirme que : « … Ce n’est ni une capitulation ni une reculade… » Il utilise les antonymes ‘‘d’Intransigeance’’ (pour capitulation) et ‘‘d’Avance’’ (pour reculade) pour masquer son aveu d’incapacité d’organiser les élections ce dimanche 1er mars dans les circonstances actuelles. « … L’avenir démontrera que nous sortirons grandi de cette Épreuve et que le peuple de Guinée exprimera librement son choix… » . Il reconnait cependant que la situation actuelle est une épreuve donc des évènements douloureux.

Enfin, son discours peut être vu sous l’angle du paradigme du choix rationnel utilitariste c’est-à-dire que le président à la suite d’un calcul coût avantage, il lui est apparu que le report des élections était la solution la plus avantageuse. Non seulement sur le plan africain (pour éviter l’isolement de la Guinée), mais aussi sur le plan national, même s’il a du mal à l’avouer, où une très grande partie de la population récuse catégoriquement l’autorité de l’État et ce processus électoral (journées de résistances organisées par le FNDC, matériel électoral détruit dans plusieurs villes, etc.).

Reste à savoir si la spontanéité du président dans ses allocutions peut se prêter à une grille d’analyse du discours politique.

Saïkou Oumar Baldé politologue, chercheur, Directeur de CERF GUINÉE



Guinée Nondi, tout ce qui est information de qualité est notre