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Les enseignements de la fête d’indépendance guinéenne : l’analyse de Sayon Dambélé

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Mardi le 02 octobre, la Guinée a fêté les 60 ans de son indépendance. Dans un élan populaire, cette commémoration a été célébrée avec enthousiasme, confirmant la volonté de nos compatriotes de réaffirmer une fierté singulière, celle d’avoir dit « NON » le 28 septembre 1958 afin de recouvrer notre liberté. D’ailleurs sur les tee-shirts distribués à l’occasion, il était inscrit « An 60 de l’indépendance, une souveraineté assumée ».

Sur ce point, rappelons qu’il n’y a pas d’équivoque en Guinée, la conquête et l’acquisition de la liberté est un acquis partagé par tous. Les divergences qui existent, persistent davantage sur la question de la gestion de cette indépendance. A l’heure du bilan, l’un des acquis incontestables de l’accession de la Guinée à l’indépendance, c’est le fait qu’elle fut une locomotive pour plusieurs autres pays colonisés d’Afrique subsaharienne dans la conquête de leur liberté. Cette articulation du national au continental était une marque de fabrique guinéenne à l’époque, consacrant les bribes de l’idéal panafricain.

Partout dans le pays et même ailleurs en particulier dans les ambassades guinéennes à l’extérieur, les festivités ont été chaleureuses. Elles ont pris des formes de manifestations nombreuses et protéiformes. Mobilisation des travailleurs de la fonction publique et du secteur privé, distributions de tenues africaines et des tee-shirts floqués à la gloire des pères de la nation, organisations de conférences-débats ou de symposiums, soirées récréatives et activités ludiques diurnes pour les enfants…A Conakry, l’essentiel des réjouissances s’est fait au stade du 28 septembre, au rythme des sonorités locales distillées par plusieurs groupes d’artistes ou de vedettes locales allant du Bembeya Jazz National à Lama Sidibé. Onze chefs d’état et de gouvernements ont été reçus par le Président Alpha Condé qui, pour l’occasion, avait troqué le costume occidental par un boubou traditionnel blanc. Clin d’œil conscient ou pas à l’histoire car lors de son discours historique devant le Général De Gaule Sékou Touré arborait la même tenue…Bref !

Devant une foule unie et hilare, les forces armées guinéennes ont défilé impeccablement en rectifiant la prestation mitigée des troupes civiles dans un stade du 28 septembre encadré par des posters géants des premiers pionniers du panafricanisme (Krumah, Nasser, Lumumba, Ben Bellah…) et des dirigeants guinéens ayant conduit le pays à la liberté (Sékou Touré, Saifoulaye Diallo, Barry Diawadou…). Passons brièvement sur la tentative de boycott du stade du 28 septembre, qui a fait flop, brandit par l’UFDG arguant le fait que c’est un lieu rappelant le traumatisme des multiples souffrances infligées aux manifestants lors de la journée du 28 septembre 2009 où beaucoup furent violentés, abattus froidement et des femmes violées à ciel ouvert. Si la mémoire des victimes et de leurs familles est à défendre et à respecter, le boycott du lieu, déjà choisi par les autorités gouvernementales pour les festivités, sonnait comme une manœuvre politicienne. L’argument du boycott aurait eu du sens si aucun autre évènement populaire n’eût été organisé sur ces lieux, sauf qu’en dix ans, plusieurs grandes messes populaires mobilisatrices s’y sont tenues entre les matchs du Syli national et les divers concerts de vedettes guinéennes et internationales. Aussi, il y a eu une confusion injuste, orchestrée ou pas, qui n’a pas plaidé en faveur de l’UFDG, le boycott du stade du 28 septembre se confondait dans la tête de nombre de Guinéens au boycott de l’évènement. Ce qui offusqua beaucoup à en croire certaines réactions sur les réseaux sociaux…Toujours est-il que les commémorations furent un franc succès et la liesse populaire faisait plaisir à voir.

Plusieurs leçons à mon sens sont à tirer de ces manifestations commémoratives. Le premier enseignement qui émerge, c’est qu’il existe encore en Guinée, malgré toutes les fissures du tissu social en raison d’un ethnocentrisme larvé, une conscience nationale. L’une des définitions basiques d’une nation, c’est la reconnaissance et l’affirmation d’un passé commun par toutes les composantes d’un peuple. Le « NON » du 28 septembre 1958 est de l’ordre d’un patrimoine historique, revendiqué et célébré par tous les Guinéens. C’est un fil que nous devons tirer pour tisser davantage la toile de notre maison commune où tous les fils et filles du pays retrouvent une légitimité égale.

L’autre leçon réside dans la lucidité des Guinéens à discerner une fête nationale, une sorte de parenthèse enchantée, des nombreux problèmes auxquels le pays fait face. Malgré le contexte socio-politique tendu, les différents acteurs ont su mettre de côté leurs nombreuses divergences pour communier ensemble.

Enfin, la dernière leçon est le contraste saisissant entre une fierté assumée, après 60 années d’indépendance, et le niveau de vie des Guinéens. Le constat d’une situation économique et sociale lamentable du pays doit responsabiliser davantage les pouvoirs publics à œuvrer pour le bien-être des Guinéens livrés à eux-mêmes depuis tellement longtemps. De ce point de vue, la réussite de cette commémoration ne doit pas faire oublier la longue liste des crises qui secouent actuellement le pays : fragilisation du dialogue politique en raison de retards et de couacs pour l’installation des exécutifs communaux, la crise de la cour constitutionnelle faisant craindre une velléité de modification de la constitution – selon les détracteurs du pouvoir – par le Président Alpha Condé dont le 2e mandat arrive à échéance en 2020, les doutes entourant l’organisation des législatives en 2019, la pression constante du syndicat enseignant (SLECG) dirigé par Aboubacar Soumah qui s’obstine sur la question des 8 millions de francs guinéens comme salaire mensuel de base des enseignants, considérée comme un préalable à l’ouverture des classes…

C’est à l’aune de la résolution de ces crises, de l’amplification des réformes de transformation sociale et de la gestion institutionnelle des futures échéances que le Président Alpha Condé, déjà près de dix ans au pouvoir, sera jugé par ses contemporains et par les générations futures. Sera-t-il lui aussi célébré dans 50 ans ? La question reste posée.

Sayon Dambélé, dambelesayon@yahoo.fr

 

 

 



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