Alpha Condé : de la Féanf à Amoulanfé

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Les Guinéens sont appelés aux urnes ce dimanche 22 mars pour des législatives et un référendum constitutionnel. Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition de partis d’opposition, appelle à boycotter ce double scrutin qui était initialement prévu dimanche 1er mars. Le FNDC multiplie les manifestations souvent sévèrement réprimées par la force publique.

Alpha Condé, ancien président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), fait face, depuis plusieurs mois, à un soulèvement populaire, avec le cri de guerre Amoulanfé (ça ne passera pas, en langue locale).

Agé de 81 ans, il refuse de céder à la pression de la rue. Retour sur le parcours de cet ancien président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), qui fait face depuis plusieurs mois à un soulèvement populaire, avec le cri de guerre Amoulanfe (ça ne passera pas, en langue locale).

Militant de la cause noire dans les années 1950 en France, Alpha Condé était une figure majeure de l’opposition à Sékou Touré, premier président de la Guinée, puis à Lansana Conté, ancien opposant historique.

Arrêté et maintenu en détention pendant 20 mois sans procès.

Alpha Condé
  • Alpha Condé en six dates
  • 4 mars 1938 Naissance à Boké en Basse-Guinée
  • 1953 part en France muni d’un brevet
  • 1963 est élu Président de la FEANF
  • 1977 crée l’actuel Rassemblement du peuple de Guinée (RPG)
  • 18 mai 2001 sort de prison après deux ans et demi de détention
  • 7 novembre 2010 Est élu président en Guinée et réélu en 2015

Une cour spéciale le condamne, en 2000, à cinq ans de prison pour « atteintes à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national ».

Il est finalement libéré en 2001 par une grâce présidentielle.

Son parcours personnel et son statut d’opposant avait fait de lui une figure majeure de la politique guinéenne et africaine.

Certains analystes se demandent comment un homme de sa trempe a pu se métamorphoser et envisager de changer la constitution, contre le gré d’une proportion importante de sa population qui l’accuse de vouloir se maintenir au pouvoir, après deux mandats.

En Guinée, les leaders du FNDC recouvrent la liberté

Elu président en 2010 après 45 ans d’opposition

« Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour gouverner autrement notre pays, pour changer radicalement de cap », théorisait le candidat Alpha Condé, dans le livre « Un Africain engagé : Ce que je veux pour la Guinée », en juin 2010.

Le 21 décembre 2010, après 45 ans passés dans l’opposition, l’une des icônes de l’opposition politique en Afrique francophone devient président après d’autres opposants comme Abdoulaye Wade et Laurent Gbagbo.

Cette première alternance démocratique en Guinée donnait espoir à plusieurs autres peuples qui luttaient eux-aussi depuis des décennies pour des changements qualitatifs à la tête de leurs pays.

La ferveur qui a accompagné l’élection de l’ancien prisonnier politique de Lansana Conté a fait rapidement oublier les contestations de son rival Cellou Dalein Diallo qu’il a fini par battre au second tour, alors même que ce dernier l’avait bien devancé au premier tour avec 48% des voix.

En compagnie de son adversaire Cellou Dalein Diallo en 2010

Alpha Condé en compagnie de son adversaire Cellou Dalein Diallo en 2010.

Puis, depuis quelques mois, cette ferveur populaire s’est transformée en dépit, avec la déferlante « Amoulanfe ».

Les manifestants du FNDC se demandent ce qu’il reste de ce leader qui s’est battu pendant 45 ans pour que la démocratie soit une réalité en Guinée.

Gouvernance économique

Sur le plan économique, un changement radical de cap que promettait le candidat Condé ne s’est pas encore opéré.

Le pays qui regorge de ressources minières et naturelles, surnommé le Château d’eau de l’Afrique, n’a pas pu émerger.

« La croissance qui s’établissait autour de 10 % en 2016 et 2017 a ralenti pour atteindre 5,8%, en 2018. La Guinée du professeur Condé a donc produit beaucoup de richesses, une croissance assez robuste, tirée par les investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur minier », indique la Banque mondiale.

Cette richesse minière semble surtout profiter aux investisseurs qu’aux communautés riveraines des sites miniers, qui espèrent tirer profit des retombées de l’exploitation minière.

Pour la Banque mondiale, le gouvernement guinéen a deux défis « majeurs » à relever en 2019 : « maintenir le cap des réformes macroéconomiques et budgétaires et assurer la stabilité sociale et politique ».

Violations multiples des droits de l’homme

L'opposant est l'un des leaders du FNDC qui a initié des manifestations populaires

L’opposant Cellou Dalein Diallo est l’un des leaders du FNDC, qui tient des manifestations populaires.

Début novembre 2019, Amnesty International a fait part de ses inquiétudes dans un rapport sur la Guinée intitulé « Les voyants au rouge pour les droits humains à l’approche de l’élection présidentielle ».

L’ONG déclare avoir « constaté que 70 manifestants et passants ont été tués dans le cadre de manifestations entre janvier 2015 et octobre 2019 ».

« Les leaders des mouvements pro-démocratie et de nombreux manifestants ont été arrêtés. C’est un affront pour les droits humains et une tentative violente visant à museler la dissidence », ajoute-t-elle.

Quelques mois plus tôt, c’était une autre ONG internationale des droits humains, Human Rights Watch (HRW), qui s’est à son tour préoccupée de la situation en Guinée, dans son apport 2019 publié en janvier 2020.

« Les forces de sécurité ont souvent eu recours à une force excessive et se sont livrées à la criminalité et à l’extorsion de fonds pour disperser des manifestations de rue souvent violentes », dénonçait HRW.

« Les violations de la liberté d’expression, notamment les arrestations et les attaques contre des journalistes, ont persisté », ajoute l’ONG.

Condé désormais face à ses anciens alliés

Le rappeur ivoirien Tiken Jah Fakoly

Le sort d’Alpha Condé, alors qu’il était en prison, avait ému beaucoup de personnes. Une campagne internationale pour sa libération avait été menée par plusieurs organisations dont la même Amnesty International, qui relève aujourd’hui les travers de son régime. Mais pas que.

L’artiste ivoirien Tiken Jah Fakoly avait composé une chanson en faveur de l’homme politique guinéen. « Je trouvais qu’il avait été injustement emprisonné à cause de son combat pour la démocratie », a récemment dit l’artiste à la BBC.

Le même artiste, des années plus tard, revient composer avec le rappeur sénégalais Didier Awadi une chanson dans laquelle ils reprennent à leur compte le slogan des activistes guinéens : « Amoulanfé ».

De plus en plus de personnes, y compris des Guinéens et des Non-Guinéens, soupçonnent fortement le président guinéen d’être grisé par le pouvoir.

 » Si Alpha Condé réussit, ça peut donner des idées en Côte d’Ivoire, ça peut même donner…

De son côté, le président se défend en rappelant que la classe politique s’était mise d’accord, avant qu’il n’arrive au pouvoir, pour modifier cette Constitution.

« Nous sommes obligés de violer la Constitution actuelle par des accords politiques. Aujourd’hui, la Constitution de la Guinée doit répondre aux besoins du monde actuel. Par exemple, la parité entre hommes et femmes, la lutte contre les mutilations génitales, le mariage des filles avant 18 ans, et surtout le partage correct des ressources », a-t-il dit début février 2020 à la télévision France 24.

« Pour les élections, chaque parti va présenter le candidat qu’il veut. La Constitution, c’est une chose. L’élection présidentielle, c’est une autre chose », a-t-il ajouté.

« Ces gens allaient faire exactement comme Sékou Touré »

Je prévoyais que ces gens qui avaient pris le pouvoir allaient faire exactement comme Sékou Touré, c’est-à-dire qu’ils n’allaient pas faire avancer le pays.

Alpha Condé en 1984

Opposant guinéen

« Je prévoyais – et je ne me suis pas trompé – que ces gens qui avaient pris le pouvoir allaient faire exactement comme Sékou Touré, c’est-à-dire qu’ils n’allaient pas faire avancer le pays », confiait Alpha Condé à Jeune Afrique, évoquant ses sentiments lorsque, en 1984, Lansana Conté prenait le pouvoir à la suite du décès de Sékou Touré.

Cette prédiction de 1984 semble bien s’appliquer à la présidence d’Alpha Condé.

Les soulèvements populaires sur fond de cassures politiques font craindre des lendemains sombres pour la Guinée à l’orée du double scrutin du 15 mars 2020.

Source BBC



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