« Recadrage sur l’aide de la France et de l’union européenne en Afrique » : Dramane DIAWARA répond au premier Ministre Kassory FOFANA

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 « Toute aide qui se situe dans le prolongement de l’éternelle dépendance est à exclure »

Le premier ministre de Guinée, monsieur Kassory Fofana, sait- il qu’il n’est normalement pas du ressort de la France et de l’Union Européenne de financer la gestion de la pandémie covid-19 en République de Guinée ? La France elle-même fait face à une situation inédite et peine à trouver des solutions d’une extrême efficacité pour contrer la pandémie. Les Etats membres de l’Union Européenne sont eux-mêmes, à ce seuil, incapables d’apporter une réponse commune et efficace pour soutenir les pays les plus en difficulté (l’Italie et l’Espagne). Monsieur Jacques Delors, ancien président de la Commission Européenne, est allé jusqu’à prévenir, le 28 mars dernier, sur « les dangers mortels » d’une absence de solidarité entre pays européens.

Revenons en Guinée.

Le 14 juillet 1975, date de la normalisation des relations franco-guinéennes, la France réitéra que l’un des principes fondamentaux de sa politique étrangère est de n’intervenir ni directement ni indirectement dans les affaires intérieures des autres Etats. Par ce même acte de normalisation, la France s’est engagée à respecter « l’exception guinéenne » de 1958.

Le 22 mars 2020, par un référendum très controversé, la République de Guinée s’est dotée d’une nouvelle Constitution au nom du principe de souveraineté des Etats. Nonobstant les mises en garde de l’Union Européenne, du Quai d’Orsay et d’autres chancelleries occidentales, la Guinée a fait prévaloir le principe de non-ingérence dans ses affaires intérieures. La nouvelle Constitution est passée comme une lettre à la poste.

Moins d’un mois après ce référendum, cette même Guinée, « intransigeante » avec sa souveraineté politique, fera partie des bénéficiaires d’une « aide financière » de la part de l’Union Européenne et de la France. Et vous, le premier ministre de Guinée, quelques mois en arrière défenseur du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de notre pays, êtes le premier à juger insuffisante cette « aide » promise par l’Union Européenne et la France.

Au demeurant, nous sommes en présence d’une instrumentalisation abusive du principe de souveraineté. La souveraineté, ce principe tant cher aux guinéens, n’est pas un vain mot. La souveraineté est le premier acte de refus de subordination d’un Etat à un autre. Si la souveraineté comporte le droit d’édicter librement des règles juridiques (la Constitution par exemple) sans se soucier d’autres règles juridiques extérieures, elle impose aux Etats de faire face aux charges de l’indépendance. Or, l’indépendance politique n’a aucune résilience, aucun sens profond, si elle n’est pas accompagnée d’une souveraineté économique, monétaire et financière.

Une Afrique qui vit aux dépens de « l’aide » française et/ou européenne n’a aucune chance de prospérer sur la scène internationale. Elle ne sera jamais libre de disposer d’elle-même. Sa politique intérieure sera durablement marquée par des politiques d’ingérences aux saveurs paternalistes. Psychologiquement, les populations africaines développeront des réflexes d’assister à vie. Elles seront incapables de penser et de produire par elles-mêmes le développement de leur continent. Elles ne seront même plus capables de mourir pour leur liberté (ce sont les soldats français qui meurent en défendant l’intégrité territoriale du Mali contre les nébuleuses djihadistes).

Aujourd’hui je constate, non sans regret, que plusieurs compatriotes, maîtres dans l’amalgame et la confusion, parlent de souveraineté sans même prendre la peine de maîtriser les différents contours de la notion.

La communauté humaine n’est pas fondée que sur la coopération dans le présent mais sur la commémoration du passé. Autrefois, aujourd’hui : distinction sans doute fondamentale, mais la différence n’est pas de nature. La souveraineté n’est pas une simple vue de l’esprit. Il est temps que l’Afrique prenne ses responsabilités dans l’histoire moderne. Le respect ne s’offre pas sur un plateau d’or, il se mérite par une vraie prise de conscience et par un travail laborieux et honnête. Toute aide qui se situe dans le prolongement de l’éternelle dépendance est à exclure.

Ainsi, nous voulons des rapports de coopération sincère, sur la base de l’égalité et du respect entre la Guinée et la France, entre la France et l’Afrique, entre l’Europe et l’Afrique. Cela ne veut pas dire que nous (populations africaines) rejetons toute assistance des pays développés en raison du rejet de la politique de mendicité. Nous voulons et devons être pragmatiques. Il ne s’agit pas d’adhérer à la pensée de celui qui donne, mais il s’agit bien de mettre en commun les moyens appartenant aux deux parties dans l’intérêt de chaque partenaire. L’interdépendance de nos marchés est la démarche idéale pour accélérer le développement de l’Afrique. Les pays développés ont un immense acquis scientifique et technologique dont nous avons besoin pour accélérer le développement de l’Afrique en concédant aux intérêts européens la garantie qu’ils veulent obtenir de nous et qui, à aucun moment, ne mettrait en cause nos souverainetés respectives.

Par Dramane DIAWARA (DD)



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