Guinée: Sur fond de vives tensions, le Président Alpha Condé enterre la constitution sur la base de laquelle il a été élu en 2010. Par Garanké Bah

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Quelle triste journée avec dix Guinéens froidement abattus laissant derrière eux des familles qui ne peuvent retenir leurs larmes ce dimanche 22 mars.

Alors que la quasi-totalité des pays du monde déploient leurs efforts afin de lutter contre la pandémie du COVID-19, en Guinée le président Alpha Condé et son gouvernement étaient préoccupés pour organiser des élections législatives couplées à un référendum pour doter le pays d’une nouvelle constitution enterrant ainsi l’actuelle constitution acquise au prix des vies de plusieurs Guinéens et qui lui a permis d’accéder au pouvoir en 2010. Mais les Guinéens s’opposent qu’à quelques mois de la fin du dernier mandat du président Alpha Condé qu’il décide de changer les règles constitutionnelles et imposer une nouvelle constitution qui remettra le compteur à zéro et qui lui ouvrira la porte à un 3e mandat. Le peuple de Guinée trouve tout simplement inconcevable qu’un pouvoir civil vienne saper l’élan démocratique amorcé par le pays.

Il faut se rappeler que quand la junte militaire alors au pouvoir avait décidé de vouloir se maintenir au pouvoir, ce même peuple de Guinée s’était levé ensemble pour dire NON et cette revendication sera réprimée dans le sang le 28 septembre 2009 au Stade éponyme lieu où les forces Vives de la Guinée (regroupement des partis politiques de l’opposition et des acteurs de la société civile), s’étaient réunies lors d’un meeting pour réclamer et exiger l’organisation d’élections libres et transparentes et le départ de la junte militaire du pouvoir.

Lors de cette manifestation plus de 157 Guinéens seront cruellement tués, des milliers seront blessés, des centaines de femmes violées et plusieurs personnes portées disparues. Quelque mois plus tard, le président Dadis Camara sera victime d’un attentat qui conduira à son évacuation au Maroc pour recevoir des soins débouchant encore sur une autre période d’incertitudes, de règlements de comptes, de répressions sanglantes et meurtrières dans le pays. Sous l’égide du médiateur Blaise Compaoré est désigné par la Cédéao pour aider à trouver des solutions à la crise politique dans laquelle le pays se trouvait de nouveau plongé. Avec l’implication de L’union africaine et de la communauté internationale, un accord de sortie de crise est conclu le 15 janvier 2010 à Ouagadougou ouvrant une période de transition devant déboucher à l’organisation libres et transparentes d’élections. Ces accords avaient prévu entre autre la création du Conseil National de Transition (CNT), un organe politique délibérant selon les termes de l’accord et le CNT a eu la charge d’élaborer une nouvelle constitution pour le pays et elle sera ensuite promulgué par le président de la Transition le Général Sékouba Konaté.

Voilà le contexte douloureux dans lequel les Guinéens ont arrachés cette constitution qui jetait les bases de la consolidation de la démocratie dans le pays en incluant notamment, la limitation du nombre du mandat présidentiel à deux pour enfin permettre aux Guinéens d’avoir une alternance démocratique au pouvoir, ce verrouillage constitutionnel instauré par le biais de l’article 27 de la constitution de 2010 dispose que: «le président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de 5 ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ou non». Mais le législateur ne s’est pas simplement arrêté sur  la limitation du mandat présidentiel, il est allé plus loin avec l’article 154 aux termes duquel il est affirmé que: «la forme républicaine de l’État, le principe de la laïcité, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision».

L’ensemble de ces dispositions constitutionnelles mentionnées ci-haut ouvrait un grand espoir chez les Guinéens n’ayant connu que deux présidents depuis son indépendance en 1958, à l’exception de la courte période du régime militaire qui avait vu l’arrivée au pouvoir en décembre 2008 du Capitaine Moussa Dadis Camara et le Général Sékouba Konaté arrivé au pouvoir en décembre 2009 après l’attentat .contre le Chef de la junte.

Aujourd’hui, le président Alpha Condé décide d’enterrer cette constitution à quelques mois seulement de son dernier mandat. Il propose en lieu et place une nouvelle constitution dans les conditions les plus opaques de l’histoire politique de la Guinée et cela avec l’aide d’une institution électorale qui a établi un fichier électoral corrompu et gonflé. Mais la lumière avait été mise sur les failles de ce fichier électoral. Ces failles ont été aussi identifiées et confirmées par les experts internationaux dont ceux de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest et de l’Organisation Internationale de la francophonie. Ces organisations se sont d’ailleurs toutes retirées du processus électoral et ont toutes décliné avec L’union africaine et L’union européenne d’y envoyer des observateurs comme elles avaient l’habitude de le faire. Mais, en dépit de toutes les récriminations à ce processus électoral, aux mauvaises conditions d’organisations de ce double scrutin et de tous les appels des institutions sous-régionales et internationales le président Alpha Condé est resté inflexible; et ce dimanche 22 mars le double scrutin s’est tenu sans la participation des acteurs majeurs de l’opposition qui actuellement font partie du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) qui s’oppose catégoriquement à la tenue de ce double scrutin dénué de toute crédibilité et qui déguise un coup d’État constitutionnel inadmissible pour le peuple qui se bat depuis des mois pour préserver sa constitution et cela à raison. Les règles constitutionnelles ne doivent pas être saisonnières, la Guinée ne va pas continuer à doter chaque président qui arrive au pouvoir une constitution qui répondra à ses objectifs. La stabilité constitutionnelle doit devenir un principe irréversible au bénéfice de la génération actuelle et des générations futures, elle ne doit pas vaciller continuellement. C’est la raison pour laquelle les rédacteurs de la constitution de 2010 ont eu la vision d’instaurer le principe de la limitation du mandat présidentiel et l’impossibilité de remettre en cause de ce principe. 

Aujourd’hui, plus que jamais les Guinéens sont déterminés à préserver ces gages de l’alternance politique à la tête du pays. 

Comme en 2009 avec les forces Vives de la Guinée, les Guinéens avaient résisté contre la junte militaire qui voulait confisquer le pouvoir, en 2020 ils se retrouvent encore au sein du FNDC pour s’opposer contre un pouvoir civil qui en plein jour souhaite opérer un coup d’État constitutionnel.

Le rêve d’une Guinée démocratique avec une stabilité constitutionnelle au bénéfice de la génération actuelle et des générations futures reste indéfectible et ce rêve ne sera pas interrompu et sacrifié sur l’autel d’une quelconque ambition personnelle. L’intérêt supérieur du peuple sera toujours celui qui va primer.

Le rêve d’une Guinée démocratique avec une stabilité constitutionnelle au bénéfice de la génération actuelle et des générations futures, les Guinéens y tiennent de toutes leurs forces et ils sont déterminés à défendre ce rêve démocratique. 

Garanké Bah



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