Fraude électorale en France : des vidéos montrent un bourrage d’urne à la réunion lors des européennes

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Selon plusieurs vidéos et témoignages recueillis par Mediapart, des bulletins de vote ont été échangés dans l’urne d’un bureau de vote de la commune de Saint-Pierre, sous-préfecture de l’île de la Réunion. L’opération avait pour but de favoriser les votes en faveur de la liste « Les Républicains » aux européennes.

Michel Fontaine règne sur la commune de Saint-Pierre depuis 2001. © La Première Outre-Mer.

Le résultat des dernières élections européennes a été partiellement faussé. Une enquête de Mediapart reposant sur plusieurs vidéos et témoignages révèle que, dans un des bureaux de vote de la commune de Saint-Pierre, sous-préfecture de l’île de la Réunion, des bulletins de vote ont été remplacés, à l’insu des électeurs, à l’intérieur de l’urne, le 26 mai 2019.

Le but de l’opération était de favoriser les votes en faveur de la liste « Les Républicains » (LR) de François-Xavier Bellamy, au détriment de celles du « Rassemblement national » (RN), de « La France insoumise » (LFI) et de « La République en marche » (LREM). Les bulletins ont été échangés par deux hommes proches du maire de Saint-Pierre, Michel Fontaine, puissant patron de la fédération LR de La Réunion.

Interrogé par Mediapart, l’un des deux auteurs reconnaît les faits. « C’était la première fois, ça a été certainement une erreur de ma part », explique Jean-Luc Imare (voir « Boîte noire »).

Il nie en revanche être intervenu dans d’autres bureaux de vote de la commune, contrairement à ce que pourrait laisser entendre une des conversations captées ce jour-là, entre lui et son acolyte, un certain Hyacinthe Bovalo.

Ce dernier, agent territorial à Saint-Pierre, présidait le bureau de vote. Mais lorsque nous l’avons interrogé, il a contesté sa présence même sur les lieux le jour du vote. « Je ne connais rien de tout cela », a-t-il ensuite insisté, au cours d’un second appel. Confronté aux déclarations de M. Imare, M. Bovalo a indiqué : « Il se démerde. Cela n’a jamais existé. »

Sympathisant des Républicains, Jean-Luc Imare explique qu’il « ne sai[t] pas » pourquoi il a agi de la sorte. « A-t-on demandé de le faire ? Non, non… pas vraiment. Non. Il n’y a pas eu de demande », nous a-t-il expliqué au téléphone, sur un ton hésitant.

Le maire Michel Fontaine n’a pas souhaité répondre à nos questions. Son directeur de cabinet Jean-Michel Jobart nous a sèchement éconduits, déclarant qu’il « ne commente pas des ragots ».

Les vidéos que nous nous sommes procurées, et dont nous publions des extraits (voir « Boîte noire »), ont été filmées par une source anonyme, qui les a ensuite fait parvenir à la justice par le biais d’un intermédiaire, opposant du maire Michel Fontaine.

Témoin de ce bourrage d’urne, Claire* explique avoir filmé la scène pour attester ses dires, après avoir été, selon elle, victime d’une forme de chantage, visant à ce qu’elle taise cette manipulation en contrepartie d’une aide financière.

« Ils ont vu que j’étais dans le besoin, que je suis pauvre. Je dénonce parce qu’ils ne m’ont rien donné, j’en pleure. Cela me met hors de moi », nous a-t-elle expliqué, début septembre, lors d’une rencontre à son domicile dans un quartier populaire de Saint-Pierre. Cette mère de famille nous confiait alors « craindre pour sa sécurité ».

Les images montrent notamment Jean-Luc Imare et Hyacinthe Bovalo en grande discussion en créole au milieu du bureau de vote, désert, la secrétaire du bureau et un assesseur étant partis déjeuner. Claire* est présente, son téléphone portable discrètement tourné vers les deux hommes.

Il est midi, et MM. Imare et Bovalo ont ouvert l’urne avec les clés pour en extraire 19 bulletins, selon Claire. « On ne peut pas en trouver un seul de bien là-dedans ! Juste Marine Le Pen. La France insoumise aussi, il y en a », s’exclame M. Imare sur la vidéo. Pour le sympathisant LR, le « problème, c’est que les gens ne sont pas informés » et que « personne ne leur a dit pour qui il faut voter ». Il préfère donc voter directement pour eux.

« Jean-Luc [Imare] a pris 19 enveloppes dans l’urne. Et Bovalo avait préparé un tas de bulletins au nom du Monsieur qui a perdu [la liste LR – ndlr] », se souvient Claire*.

Les « mauvais » bulletins — ceux qui ne sont pas LR — ont ensuite été jetés dans la poubelle d’une salle annexe du bureau de vote, situé dans une école. Une vidéo montre des bulletins pliés du Rassemblement national et de La République en marche à l’intérieur de la poubelle :

Quelques instants plus tard, Hyacinthe Bovalo revient dans le bureau de vote. Il réintroduit des « bons » bulletins en silence. Une vidéo le montre :

Au bout du compte, 19 bulletins ont ainsi été échangés en sa présence, déclare Claire*. Mais « avant que j’arrive ils avaient déjà fraudé, ils me l’ont dit », affirme-t-elle.

Un tel procédé a-t-il été utilisé dans d’autres bureaux ? Jean-Luc Imare le conteste formellement.

Pourtant, lors de la discussion en créole, il déclarait : « Il faudra voir ailleurs, là-haut, si on peut aussi faire quelque chose. […] Avec Nicole*, de la mairie annexe, il faut que je l’appelle, que je lui passe un coup de fil et que je lui parle. […] Il faudra convaincre Jean-Louis*. Il a peur, lui. Il n’est pas trop… Il faut le convaincre. Il ne parle pas trop… »

Hyacinthe Bovalo lui répondait, enthousiaste : « Oui ! Et puis, je vais voir avec Damien* si on peut faire quelque chose. Parce que Damien*, il est avec Fanny*. »

Dans la commune de Michel Fontaine, maire et ancien sénateur, qui a été condamné en appel en 2012 pour détournements de biens et favoritisme, Les Républicains décrochent la deuxième position, avec 18,37 % des votes (3 603 voix). Là où le parti plafonne à 5,97 % (10 734 voix) sur la totalité de l’île.

La droite a toujours été puissante à Saint-Pierre, mais la résistance de François-Xavier Bellamy à l’effondrement de LR est remarquable : plus d’un tiers des votes LR à La Réunion proviennent de la seule commune de Saint-Pierre, contre moins d’un quart lors des européennes de 2014. À l’inverse, le RN, LFI et LREM réalisent tous dans cette ville des scores inférieurs à leur moyenne sur l’île.

Le 12 juin, Le Quotidien de La Réunion relevait cette particularité locale : « Depuis que Michel Fontaine a ravi la commune à Élie Hoarau en 2001, personne n’est parvenu à la lui reprendre. Son mandat actuel, le troisième consécutif, il l’a décroché dès le premier tour en 2014. Et malgré le crash des Républicains aux européennes, le patron de la fédération LR 974 est parvenu à sauver l’honneur de son candidat à domicile. Ce qui a fait dire à certains que Saint-Pierre est le “dernier bastion gaulliste” de l’île. »

Ce « dernier bastion gaulliste » est aussi celui de drôles de pratiques. Car pour les municipales de 2014, déjà, Claire* affirme avoir été témoin de falsification de signatures. « On m’a dit : “Je viens de faire 30 enveloppes, signe trente signatures dans le cahier d’émargement.” » La mairie de Saint-Pierre n’a pas voulu nous répondre sur ce point non plus.

Pour les européennes 2019, Claire ne voulait pas, « au début », participer une nouvelle fois à la tenue d’un bureau de vote. Mais elle a changé d’avis au dernier moment. « J’ai reçu un coup de fil quinze jours avant, Jean-Luc Imare m’a dit “je vais arranger ta situation. Michel Fontaine va te permettre de payer ton crédit.” » M. Imare conteste : « Non, alors là, c’est pas du tout mon genre, pas du tout. »

En 2014, elle était accompagnée de Jeanne*, une autre assesseure, qui assure avoir elle-même imité des signatures sur des registres pour les municipales. « On a été très clair : “si tu veux un travail, il faut signer. Je t’organiserai un rendez-vous avec le maire” », raconte Jeanne, lors d’une rencontre le 19 septembre dans le sud de l’île.

Jeanne n’a jamais été reçue par Michel Fontaine. « Un monsieur dans un bureau [à la mairie] m’a dit : ‘Vous êtes [Jeanne] ? On va faire quelque chose pour toi.” Ils ont pris mon CV et ma lettre de motivation et je n’ai jamais eu de réponse. Plus tard, j’ai envoyé moi-même CV et lettres de motivation et je n’ai pas eu davantage de réponse », raconte-t-elle.

Sollicitée à plusieurs reprises pour tenir un bureau pour les européennes, elle a cette fois refusé : « Si c’est encore pour me faire faire n’importe quoi ! »

Source Mediapart



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