Grand P, Cyril Hanouna et Dj Arafat : une anthropologie du succès. Une analyse de Sayon Dambélé

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Qu’est ce qui rapprocherait un personnage médiatique guinéen, auréolé du succès des réseaux sociaux et adoubé dans toutes les sphères de la société guinéenne, un animateur de télé à succès français d’origine tunisienne et d’un chanteur et interprète ivoirien, décédé tragiquement d’un accident de moto, qui déchaîne des foules entières, au point qu’il eût droit à des funérailles nationales ? A priori rien. Pourtant seul le succès les réunit. L’objet de ce petit papier est une sorte d’anthropologie du succès où j’essaie d’en analyser les ressorts chez trois « célébrités » aux parcours et aux métiers diamétralement opposés.

La raison principale de leur succès, à mon sens, résiderait dans la puissance des réseaux sociaux qui, par la viralisation et la capillarité qui les caractérisent, touchent des millions de personnes et les fidélisent. Les échanges de vidéos, les tags, les fameux « j’aime » et les « vues » construisent un monde d’addiction autour d’une communauté d’internautes de plus en plus dépendante de leurs smartphones et à l’affût de la moindre nouvelle vidéo ou publication de photos. C’est cette construction d’un monde parallèle qui a sa propre logique qui fait le bonheur ou le malheur des personnes notamment par une instantanéité car les canaux des réseaux sociaux touchent en un seul envoi des millions de personnes à la fois. L’ancrage de Grand P, de Cyril Hanouna dans le paysage audiovisuel français et la passion qui entourait feu Dj Arafat ne sont pas dissociables du phénomène que je viens de décrire et de caractériser.

Il serait sans doute réducteur et inexact de résumer la carrière du « Daishikan » à ses simples « buzz » ou à la puissance des réseaux sociaux tant il a révolutionné le Coupé-Décalé – depuis ses débuts innocents en 2003 – en y associant des influences à la fois congolaise, nigériane et même américaine, notamment dans les clips. La passion qu’il déchaînait tenait en grande partie de son talent et de son influence musicale sur une partie importante de la jeunesse ivoirienne qui constituait le cœur de sa « chine populaire » (appellation qu’il trouva pour nommer ses groupies si nombreuses qu’il les assimila à la population de la Chine). Néanmoins, la visibilité et la notoriété de Dj Arafat furent accentuées grâce aux réseaux sociaux. Ses nombreuses sorties, souvent polémiques, sur Facebook, Instagram et SnapChat…via des petites vidéos quotidiennes, culminaient à des millions de vues. Ce qui faisait de lui, l’un des principaux prescripteurs de la musique ivoirienne voire africaine. De ce fait, il n’avait pas besoin de la « bénédiction » du milieu musical ivoirien pour briller car certains pontes l’avaient d’ailleurs boycotté, à tort ou à raison, comme A’salfo de Magic System ou les représentants de Trace TV en Côte d’Ivoire. Il a fallu qu’il comptât sur ses fans pour maintenir son influence et il n’eût de cesse de répéter que son succès tenant à sa « Chine » dont il mesurait la force et le nombre dans ses concerts et surtout sur Internet.

En parlant d’internet, celui-ci notamment Facebook a été à la base de la célébrité de Grand P. Personnage atypique en raison d’un nanisme et peut-être d’un léger retard mental, Grand P est passé d’un quasi anonymat à la lumière en Guinée. Et le tout, en moins d’une année. D’abord moqué voire quelque peu rejeté, il conquit peu à peu la curiosité et même une certaine admiration du grand public à travers ses vidéos, interviews et autres sorties médiatiques. Aujourd’hui, il a pignon sur rue partout en Guinée, fait un carton dans la sous-région (Mali, Côte d’Ivoire) avant de découvrir, dans les prochains mois, inéluctablement l’Europe et l’Amérique du Nord. Aujourd’hui, Grand P fait partie des Guinéens les plus célèbres. Ce statut qu’il a acquis n’est pas venu ni de la RTG, ni des médias privés traditionnels guinéens. Il le doit, presqu’exclusivement aux réseaux sociaux. Voici une preuve supplémentaire de la force et de l’influence des réseaux sociaux, notamment dans la vie des utilisateurs.

Quant à Cyrille Hanouna, il naît de parents d’origine tunisienne, juifs sépharades plutôt de la classe moyenne et a fait des études de comptabilité avant de se tourner vers les médias. Longtemps, méconnu, il explose les compteurs de l’audimat sur un créneau aussi difficile que convoité qu’est « l’access prime time » (intervalle 18h-20h), avec son émission TPMP (Touche Pas à Mon Poste). Chaque jour, cette émission réunit plus d’un million de téléspectateurs, la plupart des « ménagères de moins de 50 ans » et des jeunes, cible des publicitaires. Déconsidéré par les élites culturelles et méprisé par des revues artistiques intellectuelles comme Télérama ou par des journaux comme Libération ou Charlie Hebdo qui le considèrent comme le « degré zéro de la culture », Cyril Hanouna n’en a cure et s’appuie sur l’aura qu’il a sur les réseaux sociaux qui sont imbriqués dans ses émissions. Et cela marche du feu de Dieu. Au point que Vincent Bolloré n’a pas hésité pas à lui faire signer un contrat mirobolant de 250 millions d’euros sur cinq ans sur C8 faisant de lui, un petit marquis intouchable sur cette chaîne appartenant au groupe Canal.

De tous nos personnages, deux choses émergent : une célébrité boostée par la puissance des réseaux sociaux malgré un certain talent et surtout une nouvelle forme de construction de la notoriété culturelle qui s’affranchit des espaces traditionnels de promotion (radio et télés traditionnels). Cela dit beaucoup de notre époque où s’instaure désormais un nouvel ordre médiaco-socio-culturel qui obéit principalement au lien direct entre le grand public et les personnages médiatiques. De ce point de vue, n’importe quel quidam est potentiellement une « célébrité » dès lors que les réseaux sociaux s’en mêlent et amplifient le phénomène. Pour preuve, le nom de Gassama, sauveur du petit enfant dans le 18e arrondissement de Paris, est connu de chacun de nous presque partout dans le monde car son exploit a été vu en mondovision. Finissons par une note d’humour : ne désespérons pas, le quart d’heure de gloire dont Andy Warhol faisait allusion reste à portée de main de chacun de nous. Un jour, peut-être, le monde entier connaîtra votre nom…

Sayon Dambélé



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