Donald Trump veut déclarer l’état d’urgence nationale pour obtenir son mur anti-migrant

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Le président a abattu sa dernière carte pour obtenir des fonds supplémentaires. Cette décision, véritable contournement du Congrès, devrait déclencher une fronde politique et une guérilla judiciaire.

Donald Trump a ouvert un nouveau front, jeudi 14 février, en tentant une ultime contre-attaque à propos du « mur » qu’il a promis de construire sur la frontière avec le Mexique. Incapable d’obtenir le financement qu’il exigeait du Congrès, faute des voix nécessaires au Sénat et à la Chambre des représentants, il a abattu la dernière carte qu’il avait dans son jeu en annonçant qu’il déclarera rapidement par décret un état d’« urgence nationale ».

Il devait s’exprimer à ce sujet vendredi matin à la Maison Blanche. Cette décision devrait déclencher une guérilla judiciaire tout autant que tester l’équilibre des pouvoirs, ainsi que son emprise sur un parti divisé.

Trois jours plus tôt, lundi, les démocrates et les républicains étaient parvenus à un compromis budgétaire permettant d’éviter un nouveau gel (shutdown) partiel du gouvernement fédéral à partir du 15 février. Ils s’étaient entendus notamment sur la somme de 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) pour financer la construction de 55 miles (88 kilomètres) de nouvelles barrières, loin des 5,7 milliards de dollars exigés préalablement par le président. Le coût politique pour les républicains du dernier « shutdown » de trente-cinq jours, le plus long de l’histoire, dont ils avaient été jugés très majoritairement responsables, avait poussé les élus du « Grand Old Party » (GOP) à cette concession.

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Après avoir déjà renoncé à une partie de sa principale promesse de campagne – le financement de ce « mur » par le Mexique qui l’a toujours exclu farouchement –, Donald Trump, acculé, n’a pas caché son mécontentement. Et l’aile droite anti-immigration, qui a dénoncé le compromis dans les termes les plus crus, n’a pas relâché sa pression sur lui.

Désapprobation massive de l’opinion publique

Jeudi matin, la rumeur venue de la Maison Blanche a brièvement laissé entendre, selon les médias américains, que le président ne parapherait pas la loi de finance que le Congrès s’apprêtait à voter. L’inquiétude est à ce point montée qu’en début de séance au Sénat, un cacique républicain, Chuck Grassley (Iowa), a invité ses collègues « à prier pour que le président ait la sagesse de [la] signer ». Le chef de la majorité sénatoriale, Mitch McConnell (Kentucky), a levé ultérieurement le suspense en assurant avoir obtenu l’engagement de Donald Trump, tout en annonçant qu’il recourrait à une déclaration d’état d’urgence nationale pour obtenir des fonds supplémentaires et contourner ainsi le Congrès.

Ce choix est périlleux à plus d’un titre. Il se heurte tout d’abord à la désapprobation massive de l’opinion publique américaine. Les deux tiers des personnes interrogées s’y opposaient selon les résultats convergents de plusieurs instituts de sondage publiés au cours des trois dernières semaines.

Même s’ils soutenaient dans la même proportion le président sur ce point, les sympathisants républicains – généralement unanimes – n’en étaient pas moins divisés. Le fait que le Congrès soit parvenu à un accord qui empêche Donald Trump de justifier sa décision en arguant de l’impuissance du pouvoir législatif ne pourra qu’accentuer le trouble.

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D’autant que la nécessité d’un « mur » reste discutée. En dépit d’une légère hausse en 2018, les passages clandestins de sans-papiers sont au plus bas depuis vingt ans si on se fie aux arrestations auxquelles procède la police des frontières. En dépit de la campagne acharnée de Donald Trump, seule une minorité de personnes interrogées estime que son projet de « mur » mettrait fin au trafic de drogue et réduirait la criminalité, comme l’ont montré les nombreux sondages publiés pendant le « shutdown ».

Le président s’aventure ensuite sur un terrain juridique et constitutionnel inconnu, confirmant sa propension à user au maximum de ses prérogatives, quel qu’en soit le prix. En retirant au Congrès « le pouvoir de la bourse », qui figure à l’article 1 de la Constitution américaine, s’il choisit, comme il le laisse entendre, de réaffecter les fonds déjà votés pour d’autres usages par les deux Chambres, Donald Trump s’expose à des accusations d’abus de pouvoir qui devraient alimenter une guérilla judiciaire de longue haleine, sans parler des contentieux que les expropriations pour bâtir son « mur » vont déclencher.

L’inquiétude des Républicains

Le Parti républicain a montré la voie en s’opposant méthodiquement par le passé, non sans succès, aux décrets pris par le prédécesseur démocrate du milliardaire, Barack Obama, dans le domaine de l’immigration ou de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

A l’époque, le sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, qui ne jure que par la défense de la Constitution, avait publié sur le site Politico une tribune dénonçant un comportement de « monarque ». Le sénateur y avait insisté sur le nécessaire « compromis » entre les pouvoirs exigé par la loi fondamentale des Etats-Unis, soit la voie opposée à celle sur laquelle Donald Trump s’engage aujourd’hui.

En plus de l’incertitude que fait peser l’absence de toute jurisprudence de la Cour suprême, cette déclaration d’état d’urgence nationale inquiète certains républicains qui mettent en garde contre un précédent. Ces fractures risquent d’apparaître au grand jour si le Congrès est appelé à se prononcer sur cette décision comme le souhaitent les démocrates.

En janvier, l’ancien candidat républicain à la présidentielle de 2012, Mitt Romney, devenu sénateur de l’Utah, a estimé qu’elle devrait être limitée « aux circonstances les plus extrêmes ». Le sénateur républicain Marco Rubio (Floride) avait jugé de son côté que « si aujourd’hui, l’urgence nationale est la sécurité des frontières, demain, l’urgence nationale pourrait être le changement climatique », pour souligner la dangerosité à ses yeux d’une telle échappatoire. Dans un éditorial sévère, jeudi soir, le Wall Street Journal a repris le même argument pour dénoncer ce qu’il considère comme une fuite en avant.

La speaker (présidente) de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (Californie), s’est vite précipitée dans la brèche. « Le précédent que le président établit est quelque chose qui devrait susciter le plus grand malaise et le plus grand désarroi des républicains », a-t-elle estimé. Elle n’a pas manqué d’ajouter en référence à l’anniversaire du massacre de Parkland, en Floride, qu’un président démocrate pourrait à l’avenir procéder de la même manière à propos des armes à feu afin de lutter contre la multiplication des tueries de masse.

Source le Monde



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