Mes convictions pour une Guinée stable et orientée vers l’avenir : Rafiou BAH. ACTE II

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II- La reconnaissance des identités ethniques comme atouts et non comme un problème en soi :

Après avoir démontré l’inexistence de la nation et de la famille guinéennes, je vais aborder le sujet de fond qui porte sur l’ethnie (ethnicité) et la citoyenneté qui sont souvent opposées à tort l’une contre l’autre. Parce qu’en réalité, ces deux identités peuvent être compatibles l’une de l’autre. Et d’ailleurs, l’ethnicité est et doit être le substrat (le socle) de l’identité guinéenne pour des raisons historico-sociologiques que je vais évoquer plus tard.

Tout d’abord, il convient de souligner que l’ethnicité n’est rien d’autre qu’une identité culturelle. Alors que la citoyenneté est une identité politique ! Donc, il est contre-productif de vouloir opposer ces deux notions dès lors qu’elles ne jouent pas le même rôle. Et ceci étant, je vais aborder la nécessité absolue de reconnaître les identités collectives comme atouts et non comme un problème en soi. Tout d’abord, qu’est-ce que c’est que l’ethnicité ? Pour répondre à cette interrogation, je vais emprunter la définition de Marx Weber selon laquelle, « l’ethnicité est le sentiment de partager une ascendance commune, que ce soit à cause de la langue, de coutumes, de ressemblances physiques ou de l’histoire vécue (objective ou mythologique). » (Economie et société : 1922). Alors, sur la base de cette acception, on comprend bien que l’ethnie n’est pas un problème en soi. Elle est une forme de reconnaissance, d’identification, d’affirmation, d’appartenance à une identité culturelle.

En effet, comme je l’avais prouvé dans la première partie, la Guinée est une entité multiculturelle, Multiethnique, on ne peut et on ne doit surtout pas faire la négation de cette réalité sociologique palpable au nom de l’uniformisme. Car l’ensemble des groupes sociaux ont des cultures, des modes de vie, des langues, des identités, qu’ils expriment, extériorisent, magnifient et valorisent d’une manière ou d’une autre. De la tenue vestimentaire à la langue en passant par les expressions symboliques (danse, musique, masque, art, etc.). D’ailleurs, il faut souligner les avancées significatives en termes de valorisation linguistique opérées par certains groupes sociaux qui ont désormais leurs propres alphabets. C’est le cas des Malinkés (le Nko), des Peuls (Adlam), des Soussous (Korè Sèbèli). Donc, ces avancées sont à saluer et à encourager. Et les autres groupes sociaux sont également encouragés à mener des réflexions sur la valorisation de leurs langues ! Par ailleurs, sans même se réclamer expressément comme membre de la communauté des Fulbes, quand un Puulo (Peul) porte son bonnet appelé « Puuto » et son indigo (leppi), il exprime de façon symbolique son appartenance à la communauté peule. Et quand un Kpèlè ou Guerzé, porte sa tenue traditionnelle appelée « forêt sacrée », il exprime et revendique son appartenance à sa communauté ! Cela est valable pour les autres groupes sociaux. Ces attitudes sont des formes d’identifications symboliques, mais significatives. Elles véhiculent un message identitaire ! Par contre, il faut reconnaître que certaines cultures notamment des minorités ethniques, sont moins connues du grand public guinéen. Ainsi, l’identification sociale (ethnique) ne constitue pas un problème parce que même si l’individu ne se réclame pas d’un tel ou de tel autre groupe social, les membres de ces groupes sociaux là, lui signifieront son « étrangeté » à leur communauté soit approximativement ou expressément (ouvertement) en employant des termes comme ceux-ci selon les milieux : en Basse-Guinée, on lui dira « Foulè naara » (c’est un Peul); en Haute-Guinée, on lui dira « Sossé  lédi » (c’est un Soussou); en Moyenne-Guinée, on lui dira « ko Maninkadjo » (c’est un Malinké), etc. Et en lui signifiant parfois même qu’il n’est pas autochtone de la région où il vit malgré qu’il soit né là-bas. D’une manière ou d’une autre, cette identification est inévitable. Soit, elle est revendiquée et assumée ou elle est subie ! Elle peut être fondée sur la base des caractères physiques, linguistiques, socioculturelles, etc. Donc, exprimer son appartenance ethnique n’est pas un problème en soi dès lors qu’elle n’est pas faite dans le but de prétendre une quelconque supériorité à l’égard des membres d’autres groupes et/ou de les discriminer. Mais si l’appartenance ethnique (culturelle) est exprimée dans l’objectif de se revendiquer supérieur ou de discriminer autrui du fait de son appartenance qui serait différente, là, ce n’est plus de l’ethnicité, mais de l’ethnocentrisme. L’ethnocentrisme est condamnable et elle doit être condamnée dans toutes ses formes !

Cependant, il ne faut pas prendre ces différences socioculturelles que j’ai énumérées comme un inconvénient, mais plutôt comme une richesse à valoriser, à magnifier en créant quelque chose d’authentique (une langue commune par exemple) à laquelle, tous les groupes sociaux vont se reconnaître. Et cette langue doit refléter la diversité socioculturelle de notre pays. Ainsi, en intégrant cette diversité dans l’identité nationale, nous construirons une identité plurielle dans laquelle, chaque Guinéen se retrouvera. Mais on ne peut et on ne doit pas vouloir imposer un modèle (français) importé qui fait la négation de ce qui est le substrat même de la Guinée. Car ce modèle ne reflète pas nos réalités socioculturelles. Donc, ce modèle qui est le référentiel de l’Etat guinéen, est un modèle subi et non un modèle choisi, revendiqué et assumé par les Guinéens ! J’y reviendrai plus loin sur ce modèle importé que les acteurs politiques imposent et font subir aux Guinéens. Mais en attendant, je vais aborder la citoyenneté. En effet, je m’interroge sur la question de savoir si celle-ci est incompatible à l’ethnicité ? Je crois qu’elle peut parfaitement être compatible à l’ethnicité, mais à condition que le modèle importé (citoyenneté à la française) soit adapté aux identités collectives qui sont des identités revendiquées et assumées historiquement et sociologiquement.

Par ailleurs, la citoyenneté est le statut juridique qui permet à un individu de devenir citoyen d’un Etat. Elle accorde à l’individu (citoyen) des droits politiques tout en créant des devoirs lui permettant de participer à la vie civique de cet Etat. Alors, le citoyen est un « individu jouissant, sur le territoire de l’Etat dont il relève, des droits civils et politiques » (lexique des termes juridiques, 17ème édition, Dalloz 2010). Parmi les droits civils et politiques, il y a le droit de vote. Et dans les devoirs du citoyen, il y a le respect de la loi ! La citoyenneté est l’effet que produit la nationalité. C’est-à-dire que si on n’est pas national d’un pays, on ne peut être son citoyen. La citoyenneté accorde des droits civils et politiques, que le résident (fut-il permanent) ne peut obtenir. Cependant, l’évolution des organisations régionales comme l’Union européenne me conduit à relativiser le lien qui existerait de facto entre citoyenneté et nationalité. Car, désormais, on parle de citoyenneté européenne bien qu’il n’y ait pas un Etat unique auquel, ces citoyens sont rattachés. Donc, ils ne sont pas tous des nationaux d’un Etat. Mais comme un certain nombre de droits civils et politiques (éligibilité aux élections locales par exemple) est accordé aux ressortissants des pays de l’Union européenne, d’où qu’ils résident au sein de l’UE, c’est pourquoi, on parle de citoyens européens ! Par contre, il faudrait relativiser le rapport entre la nationalité et la citoyenneté parce qu’un citoyen peut perdre ses droits politiques suite à une décision de justice par exemple. Egalement, parce que bon nombre d’Etats à ce jour, accordent le droit de vote à des étrangers après un certain nombre d’années de résidence sur leurs territoires. Un citoyen peut aussi être déchu de sa nationalité !

Alors, étant donné que j’ai abordé la notion de citoyenneté, je vais revenir sur l’historicité de la citoyenneté guinéenne. En effet, il faut rappeler que la Guinée est une création du fait colonial. C’est avec un décret de 1891 que notre pays a été baptisé « Guinée » pour remplacer l’ancienne appellation « rivière du sud » qui désignait les territoires des Empires et royaumes conquis par le colon français. Et ces territoires sont ceux des anciens Empires et royaumes de la Basse-Guinée et du Fuuta (Moyenne-Guinée) dont les résistants avaient été vaincus ! Après la publication de ce décret déclarant la Guinée comme colonie, une résistance a été menée par Samory et les peuples de la Forêt. Et en 1898, Samory est vaincu et déporté au Gabon où il  mourra deux ans après. Les territoires de la Forêt ont aussi été annexés finalement. C’est ainsi alors que l’ensemble des territoires ont été unifié pour former une seule entité coloniale. Cependant, il faut souligner que cette unification était stratégique pour le colon français dont le but était de contrôler plus facilement les peuples colonisés. En revanche, malgré tout, le colon avait fait des accommodations en maintenant les chefferies traditionnelles (les féodaux autrement appelés chefs de canton) qui assuraient l’autorité de l’administration coloniale au niveau local. C’est ainsi que ça avait évolué jusqu’au référendum de 1958 soumis aux colonies par le Général De Gaulle, afin qu’elles se prononcent sur leur volonté de rester dans la Communauté française en votant OUI ou sur le choix de l’indépendance en votant NON. Alors, la Guinée choisit la voie de l’honneur et de la liberté en proclamant son indépendance le 02 octobre 1958. Mais l’élite politique guinéenne n’étant préalablement pas préparée pour assurer la relève dans l’immédiat, fut bouleversée par le départ des Français. Du coup, elle a été contrainte de faire avec les moyens du bord pour asseoir un minimum de principes qui vont régir l’Etat et la société guinéenne. C’est ainsi qu’elle fit recours à la législation française en faisant du mimétisme inintelligent (copier/coller) parce qu’elle a oublié que chaque législation est le reflèt de la société pour laquelle, elle est faite. Du coup, en adoptant une Constitution et des lois qui étaient faites pour les Français, l’élite guinéenne avait nié les réalités socioculturelles qui caractérisent les Guinéens. Et pire encore, au lieu de réformer les chefferies traditionnelles, le premier régime, les avait complètement supprimer en estimant naïvement que cela allait mettre définitivement fin aux pratiques de domination locale. Malgré l’urgence et la nécessité d’avoir une législation, le mieux était de légiférer en prenant en compte les réalités de la société guinéenne. Mais hélas ! D’ailleurs, cette naïveté voire imbécillité (inintelligence) continue encore malgré nos soixante (60) ans de « souveraineté » en panne ! Sinon, comment comprendre qu’une pratique comme la polygamie fasse des remous pour aboutir à des interdictions dans une société africaine comme la nôtre ? En voyant la législation guinéenne, on comprend que les pratiques anciennes qui sont l’identité réelle de la société guinéenne ont été bafouées par l’élite politique au profit de la chose importée (la citoyenneté à la française); elle oublie ainsi que ce modèle français est une construction qui ne s’est pas faite en un claquement de doigts. En plus, l’élite française n’a pas fait table rase des réalités socioculturelles françaises. Donc, elle a dû faire des accommodements en prenant en compte par exemple, les racines chrétiennes de la France dans certains aspects. Et ça, malgré la virulence des anticléricaux.

C’est ainsi alors qu’une nation à la française a été imposée aux Guinéens. Et pourtant, le mieux est de prendre en compte les spécificités socioculturelles en vue de construire une nation plurielle (multiculturelle) à l’image d’autres nations comme celles : belge, suisse, etc. Pour ce faire, il suffit de faire une lecture historique sur nos anciens modèles (Fuuta, Mandé, etc.), car dans ces structures socio-politiques, il y avait des nations plurielles (même s’il faut désavouer la hiérarchisation de ces sociétés), mais il y avait un destin commun qui portait sur le désir du vivre-ensemble. Quand je prends par exemple, le diwal (province) de Fode Hadji dans le Fuuta théocratique, il était composé de Malinkés. Et curieusement, à cette époque-là, il y avait l’alternance politique entre deux familles (Alfaya et Soriya). Et pourtant, c’est ce que nos responsables politiques, refusent au 21ème siècle. Quel recul politique ! Je crois profondément que notre salut se trouve dans la prise en compte de nos anciens modèles de société en considérant nos identités socioculturelles collectives comme le substrat de notre identité commune (notre citoyenneté). Et nous ne nous en sortirons jamais tant que nous voulons être ce que nous ne sommes pas en important des modèles inadaptées à nos réalités. A défaut, si nous importons, faisons au moins des accommodations en faisant ce que j’appelle du mimétisme intelligent ! Mais pour réussir cette volonté ambitieuse, il faudrait nécessairement une volonté politique pour réformer nos institutions et notre mode de gouvernance. D’où la troisième partie de mon exposé. Cette troisième partie sera publiée dans nos prochaines éditions

 



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