Alpha Condé, ancien combattant de l’alternance accroché au pouvoir pour une présidence à vie

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Boycotté par l’opposition et marqué par de graves violences en marge de son organisation, le référendum constitutionnel du 22 mars a recueilli selon Conakry plus de 91% de «oui». Au pouvoir depuis dix ans, Alpha Condé peut désormais briguer un troisième mandat.

  Alpha Condé, ancien combattant de l’alternance accroché au pouvoir

«Je n’ai jamais cédé. Qui, en Afrique, a été opposant pendant quarante ans, sans jamais se compromettre avec le pouvoir ?» dit le président guinéen, Alpha Condé, lors d’un entretien avec Libération, au palais Sékhoutouréya, le siège de la présidence à Conakry. A 82 ans, l’opposant historique, au pouvoir depuis une décennie, se rêve toujours en Nelson Mandela de l’Afrique de l’Ouest. Mais, alors que le premier président noir d’Afrique du Sud, élu en 1994, a choisi de n’effectuer qu’un seul mandat avant de se retirer de la vie politique, Alpha Condé semble de plus en plus déterminé à s’accrocher au pouvoir.

Malgré la pandémie du coronavirus, le boycott de l’opposition, et une crise politique qui a fait plusieurs dizaines de morts, la Guinée a organisé, le 22 mars, un référendum constitutionnel. Selon les résultats annoncés vendredi par la Commission électorale, la nouvelle Constitution proposée a recueilli 91,5% de «oui». Celle-ci permettra à Alpha Condé, s’il le décide, de briguer un troisième mandat lors de l’élection présidentielle qui doit se tenir en octobre, alors que la législation existante ne le permettait pas.

En Guinée, un double scrutin envers et contre tout

Vêtu d’une chemise à manche courte, le pas un peu hésitant, la voix qui marmonne, Alpha Condé a le verbe à la fois cassant et teinté d’humour. Dans son entourage, on le décrit comme intelligent, autoritaire et têtu. Une personnalité abrasive, aiguisée pendant ses années d’exil.

Né à Boké, en Basse-Guinée, dans une famille de l’ethnie malinké, Alpha Condé part en France à l’âge de 15 ans pour y poursuivre ses études. Diplômé de la faculté de droit de la Sorbonne et de l’Institut d’études politiques de Paris, il commence une carrière d’enseignant. Militant étudiant, il est à la tête de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), d’où sont issus de nombreux nationalistes africains. «Un mouvement très marqué à gauche qui militait depuis sa création en faveur de l’indépendance immédiate et de l’unité africaine», décrit-il dans Une certaine idée de l’Afrique (Ed Favre, 2019), un livre d’entretiens avec François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique et proche du président guinéen.

Forcé à l’exil

Sur les bancs du lycée et de l’université, il se lie d’amitié avec Bernard Kouchner, futur ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, et Albert Bourgi, un avocat, frère de Robert Bourgi, figure de la Françafrique, qui a grandement contribué au projet de réécriture de la Constitution guinéenne.

A l’époque, Alpha Condé se rend régulièrement au pays pendant les vacances scolaires, y travaille bénévolement dans les administrations, et rencontre plusieurs fois le président Ahmed Sekou Touré, le «père de l’indépendance» de la Guinée, ex-colonie française qui a acquis sa souveraineté en 1958. Mais en 1970, il est poursuivi par le régime et se retrouve condamné à mort par contumace, après une tentative de débarquement, sur les plages de Conakry, de mercenaires portugais, assistés d’opposants guinéens.

Alpha Condé : «Je n’ai de comptes à rendre qu’au peuple de Guinée»

Le professeur de droit, forcé à l’exil, ne reviendra à Conakry que vingt ans plus tard. Le rassemblement du peuple de Guinée (RPG) qu’il a fondé figure, après des manifestations, parmi les premiers partis d’opposition officiellement reconnus par le régime du général Lansana Conté, qui s’est emparé du pouvoir après la mort d’Ahmed Sekou Touré. Alpha Condé est candidat lors des présidentielles de 1993, puis de 1998, lorsqu’il est emprisonné. Condamné à cinq ans d’incarcération en 2000, il est finalement libéré un an plus tard, par grâce présidentielle, sous pression de la communauté internationale indignée.

Croissance sans développement

Il sera finalement élu président de la République de Guinée en 2010. Socialiste convaincu, avec son slogan «Le progrès est en marche», Alpha Condé se pose comme le défenseur des valeurs démocratiques et de l’alternance. Des principes qu’il peine aujourd’hui à s’appliquer à lui-même, après avoir trop longtemps attendu son heure. Malgré les promesses, et le zèle réformiste du Président, la Guinée est l’exemple d’un pays qui connaît une croissance sans développement. Le boom minier de la bauxite ne profite qu’à un petit réseau de politiciens et hommes d’affaires. Les indicateurs sociaux en matière de pauvreté, d’alphabétisation, de scolarisation, de mortalité infantile, restent inférieurs à la moyenne d’Afrique de l’Ouest.

Alpha Condé, réélu en 2015, lors d’un scrutin entaché de soupçons de fraudes, estime avoir besoin de plus de temps. Au sein du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), force dominante de la coalition présidentielle au pouvoir, les voix qui osent le contredire se font discrètes. «La démocratie, ce n’est pas nécessairement l’alternance», a dit le chef de l’Etat à Libération le 12 mars. Il justifie ses propos par «le respect de la volonté du peuple». Comme ses prédécesseurs avant lui.

Avec Libération



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