Constitution de 2010 : Maître Traoré répond à Moustapha Sangaré qui prétend « être le seul à aller au plus profond de la réflexion »

2184

Dans une tribune intitulée « La Constitution du 7 mai 2010 ou le pouvoir des juges » publiée dans les colonnes de http://xn--guine7-eva.com/, Monsieur Moustapha Sangaré expose un certain nombre de griefs à l’encontre de la Constitution actuelle.

En lisant cette tribune, le moins qu’on puisse dire est que l’auteur ne s’est pas embarrassé de cette prudence qui sied dans le cadre d’un débat où personne ne peut ou ne doit prétendre détenir le monopole de la vérité.

En effet, on peut relever ceci dans cette tribune : « on trouve très peu de raisonnement objectif relatif au projet de nouvelle constitution. La force de la passion est le moteur essentiel des pros et anti nouvelle constitution sans que la raison ne les pousse à aller au plus profond de la réflexion car au final et au-delà de la question de la faisabilité, de procédure et de calendrier politique, aucun de ses adversaires et contradictoires farouches ne pose la question fondamentale-que reproche-t-on au juste à la constitution de 2010 ? ».

En clair, Monsieur Moustapha Sangaré serait le seul, selon lui, à aller « au plus profond de la réflexion », sans passion, en faisant preuve de raison, à trouver des vrais arguments, à faire un raisonnement objectif relatif à ce qu’il appelle déjà « la nouvelle constitution » et à dire ce qui est reproché à la constitution de 2010.

Les griefs relevés par Monsieur Moustapha Sangaré sont : la composition de la Haute Cour de Justice, la facilité du déclenchement de la procédure de mise en accusation du Président de la République, la définition poussée et extensive de la notion de Haute trahison, le faible nombre de membres désignés par le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale pour être membre de la Cour constitutionnelle, la composition du Conseil Suprême de la Magistrature et enfin la nomination sur avis conforme des magistrats.

Il convient d’examiner une à une chacune de ces questions pour voir dans quelle mesure elles pourraient être de véritables motifs pour justifier un changement de constitution car, en lisant entre les lignes, c’est ce que semble soutenir Monsieur Moustapha Sangaré.

De la composition de la Haute Cour de Justice :

Selon l’article 117 alinéa 1er de la Constitution : « la Haute cour de justice est composée d’un membre de la Cour Suprême, d’un membre de la Cour constitutionnelle, d’un membre de la Cour des comptes et de six députés élus par l’Assemblée Nationale ».

L’auteur de la tribune admet qu’en ajoutant aux six députés élus par l’Assemblée Nationale, un membre de la Cour Suprême, un membre de la Cour constitutionnelle et un membre de la Cour des Comptes, le constituant de 2010 n’a pas innové en ce sens que des dispositions similaires existent au Niger par exemple.

En dépit de la reconnaissance du fait que l’exemple guinéen en cette matière n’est pas unique en Afrique, il faut mettre l’accent sur une confusion concernant les trois membres de la Haute Cour de Justice qui ne sont pas issus de l’Assemblée Nationale. L’article 117 de la Constitution indique à propos de ces trois membres qu’il s’agit « d’un membre de la Cour Suprême, d’un membre de la Cour constitutionnelle, d’un membre de la Cour des comptes ». Il ne parle pas de « trois magistrats de la Cour Suprême, de la Cour Constitutionnelle et de la Cour des Comptes » comme l’écrit Monsieur Moustapha Sangaré.

La précision est très importante puisque ce dernier semble être contrarié par la présence de « trois magistrats » au sein la Haute Cour de Justice. Or, c’est lui qui parle de « magistrats » et non l’article 117 de la Constitution qui vise simplement des « membres » issus de ces trois institutions.

Les trois membres de la Haute Cour de Justice issus de la Cour Suprême, de la Cour Constitutionnelle et de la Cour des Comptes peuvent ne pas être des magistrats dans la mesure où ces institutions ne sont pas composées que de magistrats. En particulier, le membre de la Cour Constitutionnelle susceptible de faire partie de la composition de la Haute Cour de Justice peut être un avocat ou un autre juriste en raison de la composition hétérogène de cette juridiction constitutionnelle. De même, le membre de la Cour des Comptes devant siéger au sein de la Haute Cour de Justice peut ne pas être un magistrat.

Prétendre alors qu’en plus des six députés élus par l’Assemblée Nationale, la Haute Cour de Justice compte trois magistrats, résulte d’une mauvaise lecture des textes.

D’ailleurs, dans la composition de la Haute Cour de Justice telle qu’elle était fixée par la loi organique 09/CTRN/91, il y avait déjà un magistrat de l’ordre judiciaire élu par l’Assemblée générale de la Cour Suprême. Ce magistrat était d’office le Président de la Haute Cour de Justice.

De l’abaissement de la majorité requise pour déclencher la procédure de mise en accusation du Président de la République :

Monsieur Moustapha Sangaré s’offusque apparemment de la facilité avec laquelle la procédure de mise en accusation du Président de la République peut être déclenchée suivant les dispositions de l’article 120.

En effet, selon le premier alinéa de ce texte : « La mise en accusation est demandée par un dixième des députés. Elle ne peut intervenir que par un vote de l’Assemblée nationale au scrutin secret à la majorité des trois cinquièmes des membres qui la composent. ».

Ces dispositions constituent une innovation par rapport à l’article 86 alinéas 2 de la Loi fondamentale de 1990 qui indiquait simplement que le Président de la République ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée Nationale statuant par un vote au scrutin secret à la majorité de 3/5ièmes des membres qui la composent. En effet, l’article 120 de la Constitution de 2010 fait la distinction entre la demande de mise en accusation et la mise en accusation elle-même.

La demande de mise en accusation du Président de la République doit émaner d’un dixième des députés. Mais pour que la mise en accusation soit effective, acte plus grave, il faut qu’elle soit votée par 3/5ièmes des membres de l’Assemblée Nationale. De ce point de vue, le constituant de 2010 ne s’est pas écarté de la règle généralement admise.

Si, pour demander simplement la mise en accusation du Président de la République, il fallait une majorité plus renforcée encore, cela reviendrait à dire que ce dernier ne pourrait presque jamais faire face à une demande de mise en accusation. Plus encore, il faudrait combien de députés pour obtenir sa mise en accusation effective ?

Dans un pays où le parti au pouvoir est ultra dominant au sein de l’Assemblée Nationale et où l’opposition peine à exister au sein de cette institution à plus forte raison influer sur les délibérations parlementaires, il est quasi impossible d’obtenir le vote d’une résolution contre le Gouvernement ou le Président de la République. Cette situation rend à peu près intouchable les plus hauts dirigeants.

En compliquant davantage les mécanismes par lesquels ils peuvent être amenés à rendre compte, on leur accorde une sorte d’impunité qui ne dit pas son nom. Il faut que, sur le plan psychologique, ces dirigeants gardent présent à l’esprit qu’ils pourraient être interpellés par rapport à certains actes et décisions en lien avec leur fonction.

De la définition de la notion de Haute trahison :

Dans la loi organique n°09/CTRN/91, il était indiqué à l’article 1er que : « La haute cour de justice est compétente pour juger le Président de la République en cas de Haute trahison et les membres du Gouvernement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leur fonction. ».

Cependant, il n’existait pas de définition de la notion de Haute trahison, ce qui était en contradiction avec le grand principe de la légalité des délits et des peines qui impose au législateur une définition claire des infractions en précisant leurs éléments constitutifs. C’est pour combler ce vide que le constituant de 2010 a jugé utile de donner une définition de la Haute trahison.

L’article 119 de la Constitution de 2010 définit la Haute trahison en ces termes : « il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé son serment, les Arrêts de la Cour constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits humains, de cession d’une partie du territoire national, ou d’actes attentatoires au maintien d’un environnement sain, durable et favorable au développement. ».

Monsieur Moustapha Sangaré estime que cette disposition donne une définition poussée et extensive de la notion de Haute trahison en y incluant « des actes attentatoires au maintien d’un environnement sain, durable et favorable au développement. ». Selon lui, « tous les actes que le Président pose au quotidien dans la gestion de la Nation, en fonction de l’interprétation qu’une dizaine de députés en fera ». Cette conclusion est un raccourci en ce sens qu’elle ne repose pas sur une interprétation objective de la notion « d’actes attentatoires au maintien d’un environnement sain, durable et favorable au développement. ».

A propos de « la définition poussée et extensive » de la notion de Haute trahison, on peut noter à titre de comparaison l’article 142 de la Constitution nigérienne qui dispose en son alinéa 2 : « il y a haute trahison lorsque le Président de la République viole son serment, refuse d’obtempérer à un arrêt de la Cour constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violation grave et caractérisées des droits humains, de cession frauduleuse d’une partie du territoire nationale, de compromission des intérêts nationaux en matière de gestion des ressources naturelles et du sous-sol et d’introduction de déchets toxiques sur le territoire ».

Ya-t-il une définition de la notion de Haute trahison plus large que celle-là ?

Du faible nombre des membres de la Cour Constitutionnelle désignés par le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale :

Suivant la loi organique 06/CNT/2010, la Cour constitutionnelle comprend neuf membres dont un désigné par le Président de la République et un par le Président de l’Assemblée Nationale.

Selon Monsieur Moustapha Sangaré, le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale devraient peut être désigner chacun plus d’un membre pour siéger au sein de la Cour constitutionnelle. Cela pose nécessairement la question de l’indépendance de cette Haute Juridiction.

Avec un seul membre de la Cour constitutionnelle désigné par le Président de la République, de nombreux observateurs pointent du doigt l’assujettissement de cette institution à l’Exécutif. Quand serait-il s’il y avait plus de juges constitutionnels désignés par le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale ?

De la composition du Conseil Supérieur de la magistrature :

Comme beaucoup de juristes et d’observateurs, Monsieur Moustapha Sangaré ne comprend pas que le Conseil Supérieur de la magistrature soit composé dans une très large majorité de magistrats à l’exception du Président de la République qui en est le Président et du Garde des Sceaux qui en est le Vice-président mais qui ne siègent pas lorsque cette institution exerce sa fonction disciplinaire.

Cette observation est pertinente et peut être prise compte dans le cadre d’un projet de révision constitutionnelle conformément à l’article 152 de la Constitution. A ce propos, il faut relever que la question de la composition du Conseil Supérieur de la magistrature et son ouverture à des acteurs de la société civile et à des avocats en particulier a fait l’objet d’un échange entre magistrats et d’autres acteurs de la vie nationale. C’est dire qu’il s’agit d’une question qui n’échappe pas à l’attention des magistrats eux-mêmes.

De la nomination des magistrats après avis conforme du Conseil Suprême de la magistrature :

Aux termes de l’article 109 alinéas 4 et 5 : « Les magistrats du siège, du Parquet et de l’Administration centrale de la Justice sont nommés et affectés par le Président de la République, sur proposition du Ministre de la Justice, avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Toute nomination ou affectation de Magistrat sans l’avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature est nulle et de nul effet. ».

La question de l’indépendance de la magistrature a toujours été une préoccupation pour des acteurs judiciaires et non judiciaires. Une justice indépendante est en effet un facteur de stabilité, de paix sociale et de développement économique.

Divers mécanismes ont été utilisés selon les pays pour renforcer davantage l’indépendance de la magistrature. En Guinée, il est important de rappeler que d’une façon générale la justice a toujours subi les assauts des autres pouvoirs. On a même assisté à la nomination de magistrats par message radio d’un ministre de la Justice. Plus grave, un Président de la République est allé jusqu’à dire : « La Justice, c’est moi ».

C’est peut-être en tenant compte de ces précédents, de ces exemples ubuesques que le constituant a pensé qu’il fallait renforcer davantage par une disposition constitutionnelle l’indépendance des magistrats en soumettant leur nomination à l’avis conforme du Conseil Supérieur de la magistrature. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue qu’en matière de nomination de magistrat, le Conseil Supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République.

En ce qui concerne le cas particulier des magistrats du parquet, leur soumission à l’Exécutif fait aujourd’hui débat même en France.

En conclusion, Monsieur Moustapha Sangaré semble plaider en faveur d’un renforcement du statut et des pouvoirs du Président de la République alors qu’on est dans un régime où ce dernier constitue incontestablement l’institution la plus puissante tant en fait qu’en droit. Il est la clé de voûte de toutes les institutions de la République. Il est important de rappeler qu’en adoptant la Constitution de 2010, le Conseil National de Transition ne visait aucun homme politique en particulier. Il avait agi dans le seul souci de ne plus permettre que la vie de la Nation repose en grande partie sur le seul Président de la République.

Même si les observations de Monsieur Moustapha Sangaré étaient pertinentes au point d’être prises en compte en vue de l’amélioration du texte constitutionnel et du dispositif institutionnel de la Guinée, elles ne peuvent pas justifier un changement de constitution dans la mesure où il est prévu une procédure de révision constitutionnelle ouverte à la fois au Président de la République.



Guinée Nondi, tout ce qui est information de qualité est notre