« Facebook fonctionne comme une dictature » : le grand pouvoir de Mark Zuckerberg contesté à l’AG du réseau social

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Quatre résolutions ont été défendues, jeudi, par des actionnaires, qui proposent de réduire la mainmise du cofondateur du réseau social sur le groupe ou d’instaurer des contre-pouvoirs dans sa gouvernance.

Des manifestants lors de l’assemblée annuelle des actionnaires de Facebook à Menlo Park, en Californie, le 30 mai.

Des manifestants lors de l’assemblée annuelle des actionnaires de Facebook à Menlo Park, en Californie, le 30 mai. STEPHEN LAM / REUTERS

« Fire Mark Zuckerberg. » Le slogan appelant à « virer » le patron de Facebook s’est affiché en grand sur la façade de l’hôtel Nia à Menlo Park (Californie), choisi cette année pour accueillir l’assemblée générale des actionnaires du géant du numérique, jeudi 30 mai.

Cette protestation visuelle – réalisée de nuit par l’association Fight for the Future grâce à un vidéoprojecteur – n’est qu’un coup d’éclat symbolique, mais il résume, en version radicale, un discours défendu par plusieurs investisseurs et associations : Mark Zuckerberg est accusé d’avoir trop de pouvoir, car il est à la fois PDG et président du conseil d’administration (« Chairman of the board ») et qu’il contrôle 58 % des droits de vote en tant qu’actionnaire.

Lors de l’assemblée générale, quatre résolutions défendues par des porteurs de parts ont ainsi proposé de réduire la mainmise du fondateur sur son groupe, ou d’instaurer des contre-pouvoirs dans sa gouvernance. Elles ont toutes été rejetées car M. Zuckeberg a voté contre, comme lors d’autres résolutions sur la gouvernance les années passées. Mais la pression exercée sur les dirigeants de l’entreprise s’accroît, dans un contexte politique qui se tend pour l’entreprise.

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« Facebook fonctionne en gros comme une dictature »

L’un des textes soumis au vote par un actionnaire propose de ne plus confier la fonction de président du conseil d’administration à Mark Zuckerberg, mais de nommer à sa place un administrateur indépendant.

« Le risque est de concentrer trop de pouvoir dans les mains d’une seule personne », a expliqué lors de l’assemblée générale le porte-parole de cette résolution, chacun étant appelé à défendre son texte pendant une courte allocution. Il a demandé à Facebook de « prendre exemple » sur la séparation des fonctions déjà en place dans d’autres entreprises comme Alphabet, la maison mère de Google, ou Microsoft et Apple.

Une autre résolution suggère de changer le mode de scrutin pour l’élection des membres du conseil d’administration. Adopter le vote à la majorité « permettrait d’éviter que soient élus des administrateurs qui ne bénéficient pas d’un large soutien des actionnaires », a argumenté la porte-parole du texte, selon lequel « Facebook fonctionne en gros comme une dictature ».

Une proposition vise aussi à annuler le mécanisme adopté en 2009 donnant à certaines actions des droits de vote plus importants, car celui-ci permet à Mark Zuckerberg de conserver une large majorité à l’assemblée générale, tout en étant un actionnaire minoritaire. En effet, il ne possède plus que 13 % du capital. « Sans égalité des droits de vote, les actionnaires ne peuvent pas mettre le management devant ses responsabilités », assure-t-on dans la résolution.

« Fardeau du pouvoir »

En réponse aux critiques, les dirigeants de Facebook, présents lors de l’assemblée générale, ont défendu leur gouvernance. « Notre structure de capital contribue à notre stabilité et isole notre conseil d’administration des pressions extérieures », avaient-ils écrit dans les documents préalables :

« M. Zuckerberg se préoccupe de notre succès à long terme (…). Par exemple, nos récents efforts pour améliorer la sécurité de notre communauté ont nécessité des investissements importants, ce qui a eu des effets sur notre rentabilité. Ce niveau d’investissement n’aurait peut-être pas été possible si notre conseil d’administration et notre PDG étaient concentrés sur les résultats à court terme. »

Facebook met aussi en avant le fait qu’a été désignée au conseil une « administratrice référente », Susan Desmond-Hellmann, présente lors de l’assemblée générale. Mais le contrepoids qu’elle apporte est insuffisant, selon la société de conseil aux investisseurs Glass, Lewis & Co, qui a recommandé de voter contre sa nomination, ainsi que contre celle de l’investisseur Marc Andreessen. Son homologue ISS a aussi apporté une forme de soutien aux actionnaires protestataires en se prononçant contre le renouvellement au conseil de M. Andreessen, mais aussi contre celui de M. Zuckerberg, et de la numéro deux de Facebook, Sheryl Sandberg.

Interpellée lors de la séance de questions par un actionnaire lui demandant de convoquer une réunion du conseil « sans M. Zuckerberg » afin d’étudier l’élection d’un remplaçant, Mme Desmond-Hellman a défendu le fondateur et jugé la gouvernance actuelle « satisfaisante ».

Mark Zuckerberg a lui aussi été sommé de répondre en personne sur les appels à « céder » un peu de ses prérogatives : ne sent-il pas le « fardeau du pouvoir », lui a demandé une actionnaire ? Le patron de Facebook a biaisé en déplaçant la réponse sur la régulation extérieure : « Si on devait réécrire aujourd’hui les règles de l’Internet à partir d’une page blanche, on ne voudrait pas que les entreprises privées aient autant de pouvoir sur la modération des contenus, la sécurité des élections… », a-t-il répondu, souhaitant, comme dans plusieurs déclarations récentes, qu’une régulation émerge pour limiter les prérogatives de son entreprise.

Appel au démantèlement de Facebook

Cette assemblée générale a reflété les polémiques qui assaillent Facebook depuis deux ans : fuites de données personnelles – comme le scandale Cambridge Analytica –, interférences russes dans la campagne présidentielle américaine de 2016, propagation de fausses nouvelles, ou rôle des discours de haine dans les heurts en Birmanie sont autant de cas cités par les actionnaires défendant des résolutions.

Le récent débat sur le « démantèlement » de Facebook, relancé par le cofondateur Chris Hughes dans une tribune, s’est lui aussi invité : un avion est passé dans le ciel, tirant une bannière appelant à « casser Facebook ». Et une résolution a proposé que l’entreprise se sépare de ses actifs comme WhatsApp et Instagram.

« C’est un impératif économique et aussi moral », a argumenté la porte-parole du texte, soutenu par l’association de défense des consommateurs SumOfUS, qui a déployé à l’extérieur de l’assemblée générale un émoji gonflable en colère.

L’appel au « démantèlement » fait écho à la croisade contre la « big tech » lancée dans sa campagne par la sénatrice américaine Elizabeth Warren, candidate à l’investiture du Parti démocrate pour la présidentielle de 2020. Il rappelle aussi que la politique n’est jamais loin, alors que se profilent des échéances électorales majeures aux Etats-Unis.

D’ailleurs, des associations et médias conservateurs ont appelé sur les réseaux à un rassemblement devant l’assemblée générale de Facebook, pour protester contre la « censure » des partisans de Donald Trump et des voix de droite sur le réseau social. Et deux résolutions ont demandé à M. Zuckerberg de mettre en place plus de « diversité » dans son entreprise : il faut moins de « libéraux [de gauche] de San Francisco » et plus de « libertariens », « conservateurs », « anti-avortement » ou « gens du Midwest », a plaidé le porte-parole du texte.

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source le Monde



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