Grand Dossier : La faible représentativité des femmes au niveau des postes à décret ou à des fonctions électives en Guinée : Causes et solutions

1977

Le 8 Mars est la Journée internationale des droits des femmes. Elle fut  officialisée par les Nations unies en 1977. Depuis lors, la Guinée à l’instar des autres pays du monde, célèbre cette journée dédiée à la femme à travers des manifestations ou autres évènements pour non seulement fêter les nombreux acquis obtenus en matière de droit des femmes, mais aussi de faire entendre leurs revendications afin d’améliorer leurs conditions de vie.

Pour rendre hommage à la femme guinéenne, le site Horizon Guinée s’est intéressé à une problématique qui gangrène aujourd’hui la vie publique du pays : « la faible représentativité des femmes au niveau des postes à décret ou à des fonctions électives ».

Selon l’Article 20 de la constitution : «  Le droit au travail est reconnu à tous. L’Etat crée les conditions nécessaires à l’exercice de ce droit. Nul ne peut être lésé dans son travail en raison de son sexe, de sa race, de son ethnie, de ses opinions ou de toute autre cause de discrimination ».

Pourtant, Sur la base des données recueillies il existe une faible représentativité des femmes au niveau des postes à décret et des fonctions électives. Le but est donc de tenter de comprendre et  d’expliquer les raisons de ce phénomène et les solutions à envisager pour sortir de cette sous-représentation.

Cependant, il est important de signaler qu’il était difficile d’accéder aux données permettant de déterminer le pourcentage exact des femmes qui occupent ou qui ont occupé ces postes ces dernières années, en ce sens qu’il n’existe pas de documents fiables et récents ayant des chiffres précis et permettant «  d’étayer ces perceptions empiriques ». Les quelques données qui existent sont fournies par la presse écrites. C’est pourquoi dans un premier temps, nous nous sommes intéressés aux données fournies par MICHELE SONA KOUNDOUNO lors de la réalisation de son DEA sur le thème  « Les femmes dans l’administration publique en République de Guinée » et dans un second temps, celles fournies par des institutions. Malgré que ces données sont anciennes (plus de 10 ans), mais elles permettent de comprendre l’ampleur de ce phénomène dans notre pays. Elles permettent aussi de comprendre que la Guinée est encore très loin du quota de 30% fixé par le conseil économique et social des nations unies (1995).

Dans cette étude, Madame Koundouno affirme que :

« Les femmes guinéennes, malgré leur poids (51%) démographique, ne constituent que 9,7% de la population active du secteur moderne. Si en 1998, sur les 51 000 agents de la fonction publique, 11 373 seulement sont des femmes soit 22,29% du personnel de la fonction publique (P.C.Ge.D, 1998). En janvier 2003, il apparaît que l’effectif des agents que compte la fonction publique est passé à 52 847 personnes parmi lesquelles sont représentées 12 826 femmes soit un pourcentage de 24,27%. Le progrès réalisé par les femmes en termes d’effectif durant cette période quinquennale n’a été que de 1,98%. De cet effectif (12 826) de femmes employées du public, 16% appartiennent à l’encadrement supérieur et de soutien (hiérarchie A et B), 8,27% sont des agents d’exécution (hiérarchie C) et des contractuelles.

D’après les statistiques disponibles au conseil économique et social en 2000, on compte 11 femmes sur 45 conseillers soit 24, 40%. Sur les 31 ambassadeurs on ne compte 1 femme ; 3 femmes sur 14 à la cour suprême soit 21, 4% ; 1 femme sur 6 procureurs de la République ; 4 sur 35 présidents de tribunal et juges de paix, soit 11,4% ; 1 sur 12 présidents de conseil d’administration d’entreprises et de sociétés nationales.

Les emplois supérieurs des administrations centrales, déconcentrées et centralisées se composent de la manière suivante. Secrétaires Généraux, Directeurs de Cabinet des Ministères et Equivalents 0 femme/29 hommes soit 0% ; Chefs de Cabinet 4/25 soit 14% de femmes ; Conseillers ministériels 9/85 soit % ; Inspecteurs d’Etat et Inspecteurs Généraux 3 /11 soit 21% de femmes ; Inspecteurs Adjoints 1/8 soit 11% ; Directeurs Nationaux Directeurs généraux, Administrateurs Généraux, Directeurs de cellules 1/8 soit 11% ; Directeurs Nationaux Adjoint, Directeurs Généraux Adjoint 8/70 soit 10% ; Gouverneurs de régions 0/8 soit 0% ; Directeurs de Cabinet, Gouvernorats 0/8 soit 0% ; Préfets 0/33 soit 0% ; Secrétaires Généraux (Préfectures et communes) 1/65 soit 15%. (MEFP : Août 2000).

Si sous la première république, seules deux femmes ont été jugés capable d’assurer les fonctions de gouverneur de région, de préfet ou de sous-préfet, il apparaît qu’en 2002 seule une femme à l’échelle décentralisée de base, dans le district de Siguiri, dirige une communauté rurale de développement (CRD). Sur les 33 secrétaires généraux de préfecture on ne compte qu’une femme ».

A travers ces chiffres, l’on se rend compte de l’ampleur de cette problématique  qui touche les femmes à tous les niveaux

Par ailleurs, il est à noter que les femmes en Guinée souffrent de « ségrégation professionnelle » dans la mesure où elles se retrouvent de façon majoritaire dans le secteur informel, autrement dit des « secteurs de main-d’œuvre à bas salaire », ce qui dans bien des cas freinent leur émancipation.

Selon le  rapport de la Guinée sur l’évaluation de la mise en œuvre du Programme d’Action de Beijing+20, en 2014, « les femmes sont sous-représentées dans la vie publique et politique et aux postes de décision, notamment à l’Assemblée nationale (25 femmes sur 114 députés), membres du Gouvernement (5 femmes sur 37), Cour Suprême (5 femmes sur 40), conseil Economique et social (10 femmes sur 35), Commission Electorale Indépendante (5 femmes sur 25), maires (7 femmes sur 38), Gouverneurs (1 femme sur 8) Préfets (2 femmes sur 33) ».

Pire, quelques femmes qui ont occupé des postes ministériels, à part Malodo Kaba qui a été ministre de l’économie, toutes les autres ont occupé des postes  de « second rang » : affaires sociales, jeunesse, Education, santé etc.

Partant de ces chiffres, l’on peut dire que les femmes souffrent de discrimination dans l’accès à l’emploi, au niveau des fonctions électives mais aussi des postes à décret. Au regard de ce déséquilibre sociétal, ne serait-il nécessaire de cherche à comprendre les raisons de ce phénomène ? La présente enquête a été une réponse positive à cette question.

Pour répondre à cette question, nous avons recueilli des données sur la base des entretiens, et quelques recherches.

Ainsi, il s’est dégagé comme raisons principales : le poids des pesanteurs socioculturelles et le manque de formation.

Causes liées aux pesanteurs socioculturelles  et à la formation:

La guinée est un pays ou le facteur religieux  et les traditions ont un impact  très significatif sur la vie de la société, en ce sens que parfois l’explication de certains faits frôle l’irrationnel. La société guinéenne est aussi fondée sur le système patriarcat, qui est un modèle de société fondé sur la structuration de la filiation paternelle donc une dominance masculine.

A cela il faut ajouter que le  faible pourcentage de femmes  alphabétisées  est un handicap à leur émancipation.

Pour le Sociologue Bano Barry dans un entretien accordé à nos confrères de Guinée news le 30 Avril dernier, les raisons sont simples.

« Lorsque le niveau d’alphabétisation d’un pays comme la Guinée est au tour de 65%, il sera très difficile d’avoir une très forte représentativité des femmes dans les postes administratifs et politiques. Ici, le taux d’alphabétisation est de 77% pour les hommes et de 50% pour les femmes. C’est le premier problème. Le second, c’est que même les femmes qui vont à l’école, si on a sensiblement un taux de scolarisation global de 65%, la proportion des femmes baisse au fur et à mesure qu’on gravit les échelons de l’école.  A l’aboutissement, il y a moins de femmes diplômés que d’hommes. Et la raison pour laquelle elles ne restent pas à l’école, est très simple. C’est parce que la société guinéenne est une société qui a donné une certaine mission aux femmes, en particulier celle de faire des enfants. En plus dans les familles, ce sont les hommes qui parlent de politique pendant que les femmes sont dans les cuisines »,

Autrement dit, en Guinée, la politique est considérée comme une activité masculine, réservée à une « élite intellectuelle, économique ou sociale ».  Donc un terrain de l’entre soi masculin. Sur ce, dans bien des cas, les femmes sont assignées à faire autre chose que la politique.

Une autre étude faite par l’observatoire de l’université Gamal de Conakry et dirigée par Docteur Bano, dont les résultats ont été présentés en 2005 sur la faible présence des filles à l’université, ont montré qu’il y avait une forte corrélation entre la réussite  de la jeune fille et le  niveau d’instruction des parents et principalement de la mère. Autrement dit, plus le niveau d’instruction de la mère est élevé, plus la fille a une très grande chance d’accéder à l’université et de réussir ses études.

Cette étude met l’accent sur la formation des femmes comme levier de réussite de la fille à l’école, donc une  des voies d’accéder aux  hautes fonctions dans la vie publique.

Michèle koundouno abonde dans le même sens. Pour elle, cette sous représentativité s’expliquerait par le fait que dans le contexte guinéen, la politique administrative est posée sur un « socle gérontocratique et fonctionne  sur une rationalité habile et méthodique du pouvoir des hommes et surtout des hommes âgés ». Elle continue en disant que la Guinée est une société  «  dont les attitudes et la culture sont et demeurent profondément imbriquées ». Donc, elle pointe du doigt le poids de nos cultures, mais aussi l’attitude des hommes qui ne sont pas favorables à l’émancipation de la femme.

Comment briser ce plafond de verre?

Le premier enseignement que l’on a tiré des différents entretiens est que notre société est fortement marquée par des pratiques culturelles et des stéréotypes qui dans bien des cas discriminent les femmes. Pour cela, il faut  mettre en place des programmes de vulgarisation des lois ou autres textes, mais aussi des journées de sensibilisation à destination de toutes les couches de la société pour éliminer ces pratiques ancestrales néfastes ( Mariage précoce, analphabétisme, polygamie etc.). 

Faire comprendre que la différence entre un homme et une femme réside seulement dans le fait biologique, et que la « femme » est une construction sociale.  Donc, il y a seulement  la justification d’une théorie qui met en place une sorte de classification arbitraire qui structure le rapport de force inégalitaire entre les deux sexes (homme et femme). Et qui relègue la femme au second plan.

Dans cette sensibilisation, l’on doit démontrer que la différence  entre les deux (homme et femme) est culturellement construite et non naturelle, donc n’est pas innée. C’est-à-dire que  c’est la construction des individualités qui impose les façons de faire différent des uns et des autres,  donc, des rôles différents et genrés. « Ce que l’homme peut, la femme aussi peut le faire ».

Somme toute, l’on doit encourager ce que l’on appelle la théorie de la « performativité du genre »  c’est-à-dire que : l’on n’est pas homme ou femme mais plutôt que l’on performe son genre. D’ailleurs, les femmes on fait savoir  cela ce 8 Mars aux autorités lors de la célébration au palais du peuple. «  Nous ne voulons pas de favoritisme. Nous souhaitons être mise à l’épreuve avec d’autres hommes pour que le travail nous départage »

Par le prisme de la formation :

La formation ou encore l’éducation est un droit pour tous et un moyen essentiel pour lutter contre les inégalités. C’est pourquoi il serait important de mettre en place des programmes spécifiques permettant à un grand nombre de jeune fille d’accéder à l’école, surtout dans le milieu rural. Mais aussi encourager toutes les initiatives allant dans de l’émancipation de la jeune fille.

Les partisans de la « théorie du droit à l’égalité » à travers les quotas

Pour certains de nos enquêtés, il faut instaurer  la parité à travers des quotas à tous les niveaux pour respecter le principe de l’égalité entre les sexes.

L’argument avancé ici  par cette catégorie d’enquêtés, est que l’instauration  de la parité à travers les quotas permettrait de transcender l’ordre politique, donc de bouleverser le fonctionnement sexiste du champ politique, pour eux, elle permet de briser les barrières de résistance des responsables traditionnalistes  des partis politiques, dans la mesure où la plupart des partis politiques sont contrôlés par les hommes qui sont parfois  « traditionnalistes ». Donc constituent un obstacle majeur quant à l’accès  ou à l’élection des femmes à des postes de responsabilité politique. Ils soutiennent aussi que l’inscription de cette loi de la parité dans la constitution ou son caractère coercitif pourrait obliger les partis politiques à changer leur mode de fonctionnement en trouvant et en formant de bonnes candidates pour les différentes échéances électorales.  Ceci dit, il permettrait de lutter contre les inégalités en favorisant une discrimination positive en faveur des femmes.

Pour certaines femmes interrogées, les quotas permettront d’assurer une représentativité des femmes au niveau des différentes assemblées (parlementaire ou communale). Pour elles, à travers les quotas, les femmes qui seront élues deviendront des icônes ou des exemples à suivre dans ce domaine par d’autres femmes. L’instauration des quotas favoriserait l’élection de bon nombre de femmes,  ce qui permettrait de stimuler l’intérêt des femmes pour l’activité politique et d’avoir des instances plus représentatives à l’image de la population.

Somme toute, la faible représentativité des femmes au niveau des postes à décret ou à des fonctions électives, est une problématique mondiale, mais en Guinée le phénomène est encore très marqué, en ce sens qu’il existe des stéréotypes  qui ne permettent pas aux femmes de briser ce « plafond de verre ».

La lutte contre ces stéréotypes à travers des sensibilisations, la promotion de la formation féminine et la mise en place des quotas sont autant de solutions qui peuvent éradiquer ce phénomène. Toutefois, il est important de signaler que la sous-représentation des femmes reste un champ à étudier d’avantage pour  mieux comprendre sa portée.

réalisée par Sonny Camara



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