Justice: Comment les journalistes couvrent-ils le procès des événements du 28 septembre ?

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Débuté le 28 septembre 2022, le procès des évènements du massacre du  28 Septembre 2009 suit son cours normal. Ce procès criminel largement médiatisé suscite de l’intérêt pour toutes les parties prenantes, qui l’attendaient depuis 13 ans.
Les accusés, au nombre de 12 pour l’instant, font face à la justice guinéenne. Parmi eux, l’ancien président de la transition sous le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), le capitaine Moussa Dadis Camara. 
Pour ce processus très important, une médiatisation est autorisée et cela pour le plus grand bonheur des journalistes guinéens et correspondants de médias étrangers. 
« Un des principes directeurs du procès pénal, c’est de la publicité, c’est-à-dire dire qu’il est ouvert au public. Dès l’instant qu’il est ouvert au public cela veut dire que tout le monde a accès. Mais le fait qu’il soit public et que tout le monde ait accès ne signifie pas qu’il est médiatique.  Pour qu’il soit médiatique, il faut que le tribunal l’ordonne. Il y a un débat au début du procès qui a autorisé la couverture médiatique » explique Abdoulaye Djibril Diallo, journaliste et Coordinateur de la cellule de communication du procès.

La couverture médiatique 

L’ Analyse, les compte-rendus, la  couverture en direct sur certaines télévisions et pages Facebook et YouTube, sont les différentes formes utilisées pour la couverture de ce procès pénal. La salle d’audience construite pour accueillir cet évènement dispose de sonorisation et d’espace permettant aux nombreux journalistes des médias publics et privés de travailler dans de bonnes conditions.  

Comment ces journalistes couvrent-ils ce procès ? Alhassane Bah, journaliste au site d’informations Guineenews suit  ce procès depuis le début.  Pour lui le choix de l’angle lui revient:《Le choix dépend de ce que l’accusé va dire. Une seule phrase peut valoir pour moi une dépêche. Ça dépend de l’histoire qui est racontée dans cette phrase. Il arrive des moments où je m’intéresse à l’attitude de l’accusé à la barre. Est-ce qu’il est nerveux face à certaines questions? Est-ce qu’il est cohérent ?Des fois je me sers aussi des questions des avocats qui contiennent souvent des informations. Quand par exemple un avocat a demandé à Pivi qui a violé la fille adoptive du Général Lansana Conté, il a juste répond qu’il a entendu que c’est Toumba. Donc j’ai pris cet angle là aussi. Parce que le message que l’avocat veut faire passer, c’est que si Toumba avait violé une fille, il est possible qu’il en viole aussi au stade, puisque ce ne serait pas sa première fois. Donc l’angle m’a intéressé.》

Diawo Barry, un autre journaliste, est un habitué de la couverture des procès. Pour lui, donner la parole aux avocats n’est pas toujours une priorité:《Je ne fais pas intervenir tout  le temps les avocats. Il arrive ou j’écris des chroniques judiciaires, des compte-rendus d’audiences en me référant à ce que j’ai écouté dans la salle. Étant présent du début à la fin des audiences, donc je raconte ce qui a été dit et fait.  Dans ça il y a la déclaration des accusés, il y a les questions des différentes parties (le président,  le ministère public, les avocats de la défense et de la partie civile). En pareil cas, je n’ai pas besoin d’interviewer les avocats sur ce que moi même j’ai vécu dans la salle. Il arrive aussi des cas où je fais intervenir les avocats sur les questions polémiques, sur des antagonismes, sur des opinions contraires ou je leur donne la parole pour apprécier les déclarations de l’accusé.  Dans ce cas, je m’arrange à ce que l’équilibre soit respecté.  Quant je fais parler la partie civile, je fais intervenir aussi les avocats de la défense pour avoir leur lecture de la question.》

Le compte-rendu d’audience, c’est ce que fait Thierno Younoussa Bah, journaliste à la Télévision nationale. Pour lui, la priorité est donnée à ce qui se passe lors de l’audience:《Moi je fais un compte-rendu d’audience. Pour une question de rapidité et donner l’essentiel en peu de temps, j’opte pour cette méthode. Je prends les grandes lignes et j’en fais un papier. Vous savez, les accusés sont poursuivis pour plusieurs  faits. Donc moi en faisant mon compte-rendu du jour, je prends le fait dominant pour écrire mon papier. Par exemple, Mamadou Aliou Keita poursuivi pour viol sur dame Aissatou. Le jour de sa comparution, j’ai parlé du fait pour lequel il est poursuivi. Dadis poursuivi complicité, arrive à la barre. Quand on lui a posé la question sur son rôle présumé dans cette affaire. Il a nié et il a dit qu’il ne savait rien. Il a parlé de complot plutôt.  Moi j’ai pris son moyen de défense  qui est le complot où il charge son co accusé Toumba, le président d’alors Alpha Condé et le général Sékouba. Dans les compte-rendus d’audiences nous devons être fidèles et nous assurés de ne rien dénaturer. C’est pourquoi j’évite de faire intervenir des avocats à cette phase de la procédure.
Il dit tirer son inspiration des grandes chaînes de télévision internationales :《Je regarde souvent les grandes chaînes de télé et cela m’inspire.  Généralement là-bas, les gens font des petits commentaires pour situer l’opinion, expliquer, donner la quintessence, poser les questions, répondre aux questions telles qu’ils les ont entendues. Pour les accusés déjà entendus, je prends les faits marquants》.

Adama Hawa Sow, journaliste dans une radio de la place, s’intéresse plutôt aux réactions des avocats des différentes parties : 《Pour notre média, nous sommes deux à couvrir ce procès. Donc nous partageons les tâches. Mon collègue et aîné s’occupe du procès et de la personne qui est à la barre. Moi je prends, à la sortie, la réaction des avocats des deux camps. Il m’est arrivé aussi de prendre des victimes après le passage des accusés.

Gestion de la couverture médiatique du procès

Pour la gestion du procès, un comité de pilotage présidé par le  ministre de la Justice et dans lequel se retrouve d’autres  ministres,  des partenaires techniques, est mis en place. Au niveau de ce comité de pilotage, Il y a une unité de gestion du procès, une cellule de communication et une cellule de sécurité. La cellule de communication a pour mission de veiller à ce que la couverture médiatique du procès respecte les principes d’éthique et de  déontologie. Depuis le début de ce procès, Abdoulaye Djibril Diallo dit avoir interpellé deux journalistes sur certains faits :《 Les avocats ont quitté leur cadre de prédilection pour aller vers des joutes oratoires sur les personnes entre Toumba et Dadis. Finalement ils ont détourné un peu l’enjeu. Le principe de débat judiciaire est en train de changer de camp pour devenir un débat d’opinion.  J’ai suivi un avocat qui dit que « Pivi est assis, parce qu’il est assis sous le poids de pêchés ». J’ai appelé le média qui a écrit cela pour lui dire qu’il ne devait pas relayer cela car les accusés sont protégés. J’ai suivi sur une télévision où l’équilibre n’était pas respecté. Là aussi j’ai appelé le journaliste tout de suite. J’essaye de gérer les choses pour ne pas qu’on aille à des restrictions.

Dans les principes d’un procès pénal, on peut même arrêter la couverture, vider la salle et opter pour le huis-clos dès l’instant que la couverture peut porter atteinte à la cohésion sociale, à l’unité nationale, à la vie privée des témoins ou bien des victimes. Parce que quand une victime dit qu’il ne veut pas témoigner devant les gens, le président est obligé de passer par le huis-clos, indique Abdoulaye Djibril Diallo, avant d’ajouter qu’il doit y avoir une régulation à partir du moment où un journaliste fait fi des règles de la profession :《En autorisant la couverture, le président du tribunal n’impose pas d’angles de traitement.  Il nous appartient  à nous journalistes, d’utiliser les règles de la profession pour traiter les informations avec responsabilité, dans le respect de l’éthique et de la déontologie qui sont nos instruments de travail. Mais dès l’instant qu’un journaliste outrepasse ce principe, il y a des mécanismes de régulation.

Retransmettre les audiences d’un procès pénal en direct à la télévision et sur les réseaux sociaux, même la Cour pénale internationale (CPI) ne l’autorise pas. Seule la Guinée, à date, a autorisé cela, confie Abdoulaye Djibril Diallo : 《J’avais même en prélude à ce procès, consulté les mécanismes fonctionnels de la CPI, où  la couverture en direct n’est pas permise, mais c’est plutôt le différé qui se fait. Aucun procès jusque là n’avait été couvert en direct intégralement comme ce que nous sommes en train de  faire actuellement. Je me suis dit que tant que ce qui se passe au prétoire n’a pas d’incidence sur les communautés je peux gérer. Et chaque fois qu’il y a quelqu’un qui outrepasse, je le convoque dans mon bureau, on discute et on se comprends.

La décision de diffuser en direct ce procès est motivée par le fait qu’il y a des mécanismes de régulation permettant le respect des droits de toutes les parties au procès.
Par Diaraye Diallo



Journaliste, Correspondante à Conakry