« J’ai l’impression qu’ici, la mémoire est dans les caniveaux » Tierno Monenembo sur la question mémorielle en Guinée

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Interrogé par nos confrères du Lynx, la réponse de Tierno Monenembo sur la question mémorielle est sans aucune ambiguïté. Pour lui, en Guinée, » la mémoire est dans les caniveaux »
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La question mémorielle se pose en Guinée. Quelle place donner à la recherche et à la documentation ?
La documentation est une nécessité dans un pays comme le nôtre. Malheureusement, elle n’a jamais été un sujet de préoccupation. Il y a tellement de choses qui se perdent. Quand j’ai commencé à écrire mon roman sur Olivier de Sanderval, je suis venu en Guinée pour essayer de trouver des traces de ce Monsieur, pratiquement, je n’ai pu rien trouver. Djibril Tamsir Niane m’a donné quelques éléments, il n’en avait pas beaucoup. J’ai l’impression qu’ici, la mémoire est dans les caniveaux. Les Guinéens ne s’intéressent pas à la mémoire, je crois que ce n’est pas leur problème. Des gens écrivent ou se confient sur des bandes magnétiques pour rien du tout. Je me souviens qu’en 1968 ou 1969, Djibril Tamsir Niane avait fait le tour de l’ensemble des préfectures, il a recueilli des témoignages sur l’Histoire de la Guinée, il avait enregistré sur des bandes magnétiques. Il avait même fait une exposition à la permanence de Conakry, au stade du 28 Septembre. Aujourd’hui, où sont ces bandes magnétiques ? Elles ont dû être dévorées par les termites, les rats ou pourrir dans les caniveaux. En Guinée, la mémoire n’intéresse personne. A partir du moment où un peuple perd ses mémoires, toutes les bêtises sont possibles, tous les mensonges sont possibles. On peut créer n’importe quel mythe dans le vide de la mémoire. C’est ce qui nous arrive. Il n’y a plus que Sékou Touré en Guinée. C’est le plus grand menteur. C’est lui qui a entretenu ce mythe-là depuis 1958. On n’arrive pas à en sortir. Parce que, justement, nous n’avons pas de traces. Pourtant, les peuples laissent des traces, chaque vivant laisse des traces. Mais ici, à mon avis, le meilleur lieu pour ces traces, c’est la mémoire des hommes. Si nos ancêtres se sont battus, c’est pour qu’il y ait une trace dans nos mémoires. Or, les griots ne sont plus là pour rafraîchir notre mémoire, et les salles de documentation modernes sont embryonnaires. C’est le vide culturel, difficile à combler.
Source lelynx



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