Pouvoir à vie en Guinée, le dernier combat du président Alpha Condé?

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Ancien professeur de droit, il a longtemps été un des principaux opposants guinéens. Désormais à la tête de la Guinée, l’ancien démocrate Alpha Condé s’est mué en homme ivre de pouvoir. Il refuse de céder son fauteuil lors de la prochaine présidentielle.

Même avant la pandémie, il y avait eu des reports. Et encore avant, il y avait eu des manifestations. Depuis un grand fauteuil placé en dessous de son propre portrait, Alpha Condé, le président de la Guinée, âgé de 82 ans, refuse de répondre à la question qui préoccupe essentiellement son pays : compte-t-il ou non rester au pouvoir jusqu’à ses 94 ans ?

Dans l’enceinte du palais Sékhoutouréya de Conakry, en pantalon et chemise à manches courtes, Alpha Condé est flanqué d’un côté d’une grande photo de lui en compagnie de Barack Obama à la Maison-Blanche, de l’autre de clichés encadrés sur une table, où on le voit serrer la main aux présidents turc Recep Erdogan et chinois Xi Jinping. Il y a aussi un buste en or du président Mao et un gros livre sur Robert Dossou, homme politique béninois.

Le 22 mars, les Guinéens ont pris part à un référendum censé permettre à Condé de modifier la Constitution. D’après la commission électorale, 92 % d’entre eux auraient voté en faveur des changements. Au moins 42 personnes ont perdu la vie lors des manifestations violentes qui ont précédé l’échéance. La nouvelle Constitution garantit par la loi la parité hommes-femmes et le partage des richesses, interdit le mariage des enfants et la mutilation génitale des femmes, et prévoit un “fonds spécial” pour la jeunesse, les femmes et les personnes handicapées, affirme Condé. Ses détracteurs redoutent qu’elle ne donne aussi au président la possibilité d’effectuer deux mandats de plus.

“Je veux donner à la Guinée une Constitution qui la place à l’avant-garde des États africains”, déclare Condé, qui a passé des décennies dans l’opposition avant de devenir en 2010 le premier président démocratiquement élu du pays.

Un ancien professeur de droit devenu ivre de pouvoir

À l’origine, le référendum devait avoir lieu le 1er mars. Mais deux jours avant l’échéance, il a été brusquement reporté. “La Guinée, patrie du panafricanisme, ne peut s’isoler de ses pays frères”, a annoncé sobrement le président à la nation dans une allocution télévisée. Le vote a finalement été organisé le 22 mars, mais la controverse n’a pas faibli. L’opposition, qui a rejeté le résultat, a boycotté les listes électorales et retiré 37 députés qui participaient aux législatives orchestrées le même jour. Après des mois de manifestations pacifiques et de violences, la communauté internationale s’inquiète à son tour.

L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) a remis en question la légitimité de 2,5 millions de noms inscrits sur les listes électorales, et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union Africaine (UA) ont rappelé leurs observateurs.

Condé n’en démord pas : le boycott de l’opposition est injustifié. “On ne peut pas bloquer un pays, lance-t-il sur un ton de défi. Pour parler au nom du peuple, il faut avoir un mandat du peuple.” La nouvelle Constitution autorise le président à aller au-delà de la limite de deux mandats, et des questions subsistent. Compte-t-il maintenant se représenter à la présidence ? Et comment Condé – un ancien professeur de droit à la Sorbonne qui a été le chef de file de l’opposition pendant plus de quarante ans, qui a été exilé, jeté en prison par des dictateurs et salué comme le champion du changement par les dirigeants du monde entier –, comment Condé, donc, peut-il envisager de saper la démocratie encore fragile qu’il a contribué à mettre en place ? Alpha Condé est le seul capable de répondre à cette question. Et les jours à venir nous augurent des lendemains incertains.

Avec Courrier International



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