Pourquoi les gens ne votent pas en Guinée ? (Enquête)

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En Guinée, voter est un droit et participer au vote est un devoir. En choisissant de travailler sur le « non vote » en Guinée comme sujet, je tente d’apporter une modeste contribution scientifique à la problématique de l’abstentionnisme électoral dans les « jeunes démocraties » comme la Guinée. Cette question est au cœur des enjeux démocratiques, en ce sens que la faible participation pourrait menacer la légitimité politique des élus.

Pourquoi cette étude ?

Le choix de ce sujet repose sur le fait qu’il me semblait quelque peu original de travailler sur la question de l’abstention en Guinée. S’il est vrai que de nombreuses études ont été faites sur ce phénomène dans les démocraties occidentales (France, Etats-Unis, Canada etc.), force est de constater qu’il est moins étudié dans les démocraties africaines, surtout en Afrique au sud du Sahara. Tel  est le cas en république de Guinée.

Mieux, d’après mes investigations, la problématique liée à l’abstentionnisme n’a jamais fait l’objet d’étude proprement scientifique en Guinée. Pire, les rares données qui existent sur le sujet sont produites par la commission électorale nationale indépendante (CENI) ou des rapports d’institutions nationales et internationales.

En plus, les études faites sur les questions politiques en Guinée traitent plutôt du rapport entre ethnicité et pouvoir. Dans ce sens, Barry (2000) a réalisé une étude sur les violences collectives en Afrique, en présentant une monographie du cas guinéen.  Pour sa part, Baldé (2007) a étudié l’« ethnicité comme enjeu de pouvoir », et Diallo (2013) a analysé « l’instrumentalisation des identités ethniques et régimes politiques ».

A cela, il faut ajouter que le sujet de la présente recherche se justifie par le fait que l’abstention augmente d’élection en élection. En 2010, le taux d’abstention avait atteint un record de 48% des électeurs qui ont tourné le dos aux isoloirs au premier tour des présidentielles. Ce record a été battu lors des élections locales du 4 Février 2018 avec plus de 60 % d’abstentions.

Cette abstention est d’ailleurs complétée par la longue liste des non-inscrits (CENI, 2010, 2015), c’est-à-dire les personnes ayant la majorité électorale (18 ans) et qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales. En plus, la Guinée de par sa diversité ethnique, représente un cas d’étude très pertinent, en ce sens que cet élément sociologique est au cœur de ce phénomène.

Le but principal était de tenter de comprendre et d’expliquer les facteurs qui entrent en ligne de compte dans l’abstentionnisme électoral en Guinée.

Comment expliquer la montée de l’abstentionnisme électoral en Guinée ? Quelles sont les causes explicatives de ce phénomène ? C’était la question principale de cette étude.

Pour répondre à cette question, l’on a avancé les hypothèses suivantes

Le phénomène de l’abstentionnisme électoral en Guinée n’est pas le fruit d’une cause unique, il est multidimensionnel et pourrait être dû au vote ethnique qui conditionne le choix des électeurs et pousse certaines minorités à s’abstenir.

L’abstention serait due à l’état du fichier électoral, qui présente des anomalies poussant certains citoyens à tourner le dos aux urnes

Dans le cadre de cette étude, j’ai choisi la méthode qualitative, avec des entretiens semi-directifs, l’analyse documentaire et des discours politiques comme techniques de collecte de données

Interprétation des résultats

Durant l’enquête de terrain, il était question d’apporter une réponse provisoire à ces questions en partant de l’hypothèse selon laquelle le phénomène de l’abstentionnisme électoral en Guinée n’est pas le fruit d’une cause unique, il est multidimensionnel et pourrait être dû au vote ethnique qui conditionne le choix des électeurs et pousse certaines minorités à s’abstenir. Au regard de ces postulats, il était d’abord question dans ce travail de savoir s’il y a un vote ethnique en Guinée en partant de la sociohistoire et les résultats des différentes élections.

Ces analyses ont permis de comprendre que le facteur ethnique en Guinée est primordial dans la détermination des attitudes et des comportements électoraux. Autrement dit, il y a sans aucune ambiguïté une certaine corrélation entre le choix des électeurs et leur appartenance ethnique. Ensuite, il fallait déterminer si ce vote ethnique serait la cause de l’abstentionnisme électoral. Le constat a montré que lors du deuxième tour des élections présidentielles de 2010. Les villes et les régions n’ayant pas de représentants dans la compétition électorale, ont enregistré des taux d’abstention très élevés. Plus de la moitié des électeurs dans ces villes n’ont pas accompli leurs devoirs civiques.

Pendant cette élection, l’on a compris que certains candidats ont été éliminés par le seul fait qu’ils viennent des minorités ethniques. Ce qui a provoqué des taux d’abstention record dans leurs régions d’origine.

Ces faits démontrent que « les électeurs guinéens dont les critères de choix sont basés sur l’appartenance ethnique se sont majoritairement abstenus lors de cette compétition électorale ». Ainsi, l’on peut affirmer que l’ethnicisation du vote en Guinée est dans bien des cas la cause de l’abstention.

Mais le facteur ethnique ne suffit pas à lui seul pour expliquer la montée de l’abstention. L’un des facteurs important qui conditionne la participation est l’état du fichier électoral et le manque de confiance au processus électoral.

En analysant les différents rapports et l’entretien du terrain, il ressort de l’avis de certains observateurs qu’il y a eu, lors des élections, des fraudes orchestrées surtout par la CENI et le parti au pouvoir. Ce qui a créé un manque de confiance à l’égard de la crédibilité des échéances électorales et a fait naitre un sentiment d’impuissance chez certains électeurs à changer les choses. Cet état de fait a accouché dans bien des cas une attitude passive qui a poussé certains électeurs à s’abstenir.

A ces faits, il faut ajouter la mauvaise distribution des cartes d’électeurs et la mauvaise répartition des bureaux de vote qui priveraient beaucoup de citoyens de leurs droits de vote.

Une enquête réalisée par Sonny Camara Administrateur général du site



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