LETTRE OUVERTE AUX MEMBRES DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE DE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE

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ObjetContribution à la bataille juridique contre un éventuel 3ème mandat : Pourquoi et comment dire NON au Président de la République

MESSIEURS LES JUGES,

J’ai l’honneur de vous adresser cette lettre ouverte, pour vous exposer modestement et sous votre haute autorité, les arguments juridiques et politiques, qui commandent, déterminent une décision de non-conformité à la Constitution, de toute loi de révision constitutionnelle portant sur les dispositions intangibles et introduite soit par le président de la République, soit par l’Assemblée nationale.

SUR LA NATURE DES DISPOSITIONS PORTANT RÉVISION DE LA CONSTITUTION

Ces règles consacrent le pouvoir et les limites de révision constitutionnelle.

Il s’agit de règles de compétence : Elles indiquent les organes compétents, la procédure, les interdictions matérielles (domaine  soustrait à la révision), et les interdictions formelles (révision interdite à certaines périodes : état d’urgence, de siège, occupation partielle ou totale de notre territoire).

Le constituant  originaire de 2010  a entendu exclure de la compétence des organes institués, (constituant dérivé), tous les domaines prévus par les dispositions intangibles, « non révisables ».

Ces dispositions ne sont  pas révisables par les moyens réguliers, elles ne peuvent  l’être que par les auteurs d’un coup d’état, autrement dit, un gouvernement de fait, et pas un gouvernement de droit.

En tout état de cause, par extension  du principe du parallélisme des compétences, on peut dire que ce qui a été interdit par un constituant originaire ne peut être autorisé que par un autre constituant originaire.

L’organe compétent pour réviser les dispositions intangibles n’existe pas pour l’heure.  Celui-ci ne peut être institué que par un coup d’état.

Toute loi constitutionnelle adoptée sans l’observation des règles de compétence est nulle ou annulable.

MESSIEURS LES JUGES,

Quelle valeur  peut-on accorder à une norme (loi de révision) contraire au texte(Constitution) qui règle son adoption  et circonscrit ses limites ? La réponse est donnée par Hans KELSEN  qui remarque, à juste titre,  qu’ « une norme dont on pourrait affirmer qu’elle n’est pas conforme à la norme qui règle sa création ne pourrait pas être considérée comme une norme valable, elle serait nulle, autrement dit, elle ne serait pas du tout une norme juridique » (Hans KELSEN, Théorie pure du droit, p.356).

Aussi, je souhaiterai attirer  votre attention sur ce raisonnement qu’eut la Cour suprême des USA en 1803 dans son célèbre arrêt Marbury contre Madison

« C’est une proposition trop évidente pour être contestée que de dire que la Constitution prime sur tout acte législatif qui lui est contraire ; s’il en était autrement, la législature pourrait altérer la Constitution par une simple loi ».

Autrement dit, ce raisonnement appliqué à notre espèce donnerait ceci: « C’est une proposition trop évidente pour être contestée que de dire  que les dispositions intangibles, non révisables de la Constitution, priment sur toute loi de révision constitutionnelle qui leur sont contraire ; s’il en était autrement, l’organe de révision constitutionnelle pourrait altérer les dispositions intangibles de la Constitution par une simple loi de révision constitutionnelle » (comparaison soulignée par Kemal GOZLER dans Le pouvoir de révision constitutionnelle, p.453).

MESSIEURS LES JUGES,

La Constitution, notre texte suprême, est l’ensemble des « règles du jeu : chacun des acteurs choisit entre plusieurs conduites, non pas en fonction de la formulation linguistique des dispositions, mais en considérant les réactions qu’il peut déclencher de la part de ses partenaires » (Michel TROPER, La Constitution et ses représentations sous la Ve République », p.62.

Autrement dit, si le Président de la République choisit de réviser les dispositions intangibles, il peut s’attendre au déclenchement des réactions suivantes :

-De la part de l’AN qui peut le mettre en accusation pour haute trahison ;

-De la Haute Cour de justice qui par son pouvoir d’interprétation, peut décider que l’accusation portée contre le président relève bien de la haute trahison ;

-De la Cour constitutionnelle qui, par son pouvoir d’interprétation de la Constitution, peut établir la non-conformité de la volonté du président à celle-ci ;

-Du peuple souverain qui, détenteur du «  droit de résister à l’oppression » de l’article 21 al.3 de la Constitution, peut vigoureusement contester la volonté dictatoriale du Président.

En tout état de cause, l’action illégale, anticonstitutionnelle du président de la République, ne peut restée sans réactions des autres pouvoirs publics et du peuple souverain.

MESSIEURS LES JUGES,

Si vous laissez notre président modifier les limites substantielles instituées par notre Constitution, cela signifie que vous serez disposés aussi à accueillir une révision qui transgresse les limites formelles (procédure et compétence).

Autrement  dit, vous serez disposés non seulement à accueillir une révision qui toucherait a la forme républicaine de l’État, au principe de laïcité, au principe de la séparation des pouvoir, mais aussi, une révision qui ne respecterait pas la procédure de révision et faite par un organe incompétent.

Retrouvez la suite de cette lettre dans nos prochaines publications ou envoyez un message à contact@guineenondi.com pour avoir l’intégralité de la lettre.

Par Sow Rousseau



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