Les Causes De La Corruption En Guinée ACTE II (Par Ibrahima Sanoh)

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Tout a une cause et rien ne naît du hasard. Penser aussi que la corruption est un mal aux causes multiples est un prélude au diagnostic sérieux. Ce faisant, la mise en vente de sa conscience qu’est la corruption a plusieurs causes. Comme le disait l’économiste Robert klitgaart : « la corruption est un délit calculé et non passionnel. »

 Parmi les différentes causes de la corruption, je citerai entre autres :

 L’absence de valeurs normatives et de d’autorité morale

 «Les nouveaux riches sont comme la bière-pression : tirée en un instant, mais avec plus de mousse que la bière », disait Mia Couto, écrivain mozambicain. Nos nouveaux riches, ceux-là, qui, par arrivisme se voient changer de classe sociale, de conditions de vie, ne créent ni richesses ni emplois, ils profitent de la sueur des autres : du peuple et de ses caisses. Ils portent des vestes sur mesure, boivent de la bière glacée, mangent des pommes de terre farcies, sont ventrus alors qu’il y a peu étaient décharnés et l’on pouvait voir leurs clavicules du fait de leur panade. Aujourd’hui, ils voyagent avec les filles les plus fraiches qui soient et habitent à chaque voyage qu’ils effectuent dans les cinq étoiles. Ils ne peuvent exprimer quelques bribes d’idées sans qu’ils ne prononcent le nom et louent celui-là qui leur a donnés la possibilité de sortir de la mélasse. Ils servent ce dernier, leur maître, lequel à leur avis ne se trompe pas, il est droit quand il parle et nulle ne peut le redresser, il doit avoir la paternité de tout. Ces nouveaux riches, sont enviés des jeunes, les belles jeunes filles apprécient leur générosité.

Ils ne manquent non plus pas l’occasion de signifier leur gratitude à la providence, lequel ils ont arrêté d’adorer depuis qu’ils sont sortis de la quotidienneté. « Jeunes, mangeons, ceci n’est qu’un bienfait de la providence», voilà comment ils se prêtent aux gaspillages des ressources financières du pays. D’autres, ne manquent pas l’occasion de faire de leurs foyers des lieux de restaurations publiques, ils y invitent le quartier tout entier : jeunes et vieilles, hommes et femmes, à venir y déjeuner et dîner. C’est leur façon d’exprimer leur générosité !  

Ils transmettent sans le savoir, aux membres de la société, les plus jeunes, des contrevaleurs qui créent un habitus.9 Ainsi, chacun veut être ministre, directeur de régie et appartenir au parti politique. Cette dispendieuse prévarication conduit à la dépravation de nos mœurs déjà trop faibles, à la banalisation de la corruption et pis, à l’incitation à celle des idées. Ainsi, les familles, elles-mêmes, incitent leurs fils à tirer parti, mais illégalement de leur fonction, à faire employer l’un de leur, à maximiser les intérêts de son groupe social ou de ceux portant son patronyme.

Nos nouveaux riches, feignent de comprendre que l’homme est un être imparfait et qu’il sait bien s’adapter et voire tirer profit des incitations .Si vous incitez les jeunes à emprunter les raccourcis de la facilité, ils le feraient et nous resterons où nous sommes, dans le mal-développement. C’est ce qu’Alpha Condé a réussi pendant ses années de gestion : la promotion des contrevaleurs.

 Des institutions discrétionnaires

 En fait, les institutions en charge de la lutte contre la corruption sont nombreuses et ne jouissent aucunement de l’indépendance, des moyens devant leur permettre de mener à bien leurs missions. De fois, il y a de véritables chevauchements de compétences entre institutions. Pour illustration, un Comité National de Lutte Contre la Corruption (CNLC) a été créé par décret du 04 /02 /2000. Quelques années plus tard un Ministère de Contrôle Economique et Financier fut institué par décret du 01 / 07 /2004. A la même année, le Comité National de Lutte contre la Corruption (CNLC) fut remplacé par l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC), le 13 / 07 /2004. Dans le même mois, deux institutions aux compétences analogues furent mises en place. L’agence fut dotée de plus d’autonomie que le comité qu’elle a remplacé. On se demande sur la vraie identité et les vraies attributions de cette agence, car elle a tantôt la dénomination de l’Agence Nationale de Lutte Contre la Corruption et la Moralisation des activités économiques 10 et tantôt elle porte une autre dénomination, celle de l’Agence Nationale de Bonne Gouvernance et de Lutte Contre la Corruption (ANBGLC). L’ANLC continue d’être appelée l’ANBGLC. Cette confusion sémantique, fonctionnelle et administrative n’est pas sans conséquences.

En effet, plusieurs institutions à la charge de prévenir ou de combattre la corruption sont rattachées soit rattachées à la présidence de la République, soit à certains ministères. Le rattachement des institutions à la présidence de la République bien que choix stratégique et gage dans un certain sens de la stabilité des institutions confère un certain pouvoir de domination voire discrétionnaire à l’autorité attributaire ; ce qui affecte les capacités des institutions devant lutter contre la corruption. De la présidence de la République sont rattachés les organes suivants : le Comité d’Audit, l’Inspection Générale de l’Etat, l’Agence Nationale de Lutte Contre la Corruption, l’Administration et le Contrôle des Grands Projets, l’Agent Judiciaire de l’Etat, etc.

 Par ailleurs, l’Inspection Générale des Finances est sous la tutelle Ministère des Finances, la Direction Nationale de la Comptabilité Matière et Matériel est sous la tutelle du Ministère du Budget, l’Office de Répression des Délits Economiques et Financiers est sous la tutelle du Ministère de la Sécurité.

 On pourrait être tenté de dire que la notion de tutelle n’implique pas, forcément, la subordination de l’organe contrôlé par l’autorité attributaire, ce qui ne serait pas un argument léger. Seulement, dans notre cas, le Président de la République exerce un contrôle hiérarchique (par opposition au pouvoir hiérarchique) sur les organes de lutte contre la corruption placés sous sa tutelle Ce qui est bien dommage.

Le Comité d’Audit et l’Agence Nationale de Lutte Contre la Corruption sont directement rattachés à la présidence de la République. D’autres organes bien que sous tutelle de la présidence de la République sont rattachés soit à Ministre Directeur de Cabinet, c’est le cas de l’Administration et du Contrôle des Grands Projets, soit rattaché au Secrétaire Général de la Présidence, c’est le cas de l’Inspection Générale de l’Etat et de l’Agent Judiciaire de l’Etat

Dans une allocution à l’occasion de l’installation du Comité National d’Audit, le mercredi 07 juin 2011 , le président Alpha Condé déclara : « On ne peut pas lutter contre les détournements et la corruption , si l’on ne lutte pas contre l’impunité . C’est pourquoi, j’ai créé cette structure qui dépend uniquement de la présidence .Cela veut dire que, c’est une structure qui a les mains libres de contrôler toute la gestion de qui que ce soit ». Que deviendra cette institution quand le règne Alpha Condé aura pris fin ? Nous voulons des institutions pérennes.

D’ailleurs, on ne contrôle pas une personne, mais sa gestion dans une perspective d’amélioration des performances. Je suis contre ses propos, car ils ne permettent pas à la Guinée d’avoir des institutions fortes et appropriées. Je m’oppose à la vassalisation et l’aliénation de nos institutions. Je veux pour la Guinée et les Guinéens des institutions fortes pouvant contrôler les actions de ceux qui sont investis des pouvoirs, fût-il, le président de la République. Il est un justiciable et un citoyen, donc je ne vois pas pourquoi c’est lui qui devrait superviser nos institutions de lutte contre la corruption.

 L’Agence Nationale de Lutte Contre la Corruption (ANLC) a dans un rapport reconnu le fait que les organes de lutte contre la corruption souffrent de conflits institutionnels : « […] L’efficacité de l’action gouvernementale souffre tout d’abord de la non-application des textes organisant la présidence de la République et la primature (…) sont des postes à la présidence de la République et à la primature non prévus par ces textes ont été créés et pourvus, soit des postes prévus par ces textes sont restés inoccupés. Le sommet stratégique, que constitue la présidence de la République, souffre ainsi de pénurie de ressources humaines, mais surtout de compétences , alors que c’est le lieu de la définition de grandes orientations politiques et d’impulsion de l’activité gouvernementale , certaines relations interministérielles étant caractérisées par des conflits de compétences et d’intérêt . De même , les services de la présidence de la République ne disposent pas suffisamment en leur sein d’une unité de planification stratégique composée de cadres expérimentés et de hauts niveaux et disposant d’outils et méthodes modernes de planification stratégique ainsi que de formulations et de suivi- évaluation des politiques.»

 La présidence de la République est devenue une usine où l’on recycle les anciens ministres et un autre organe pléthorique à l’image du gouvernement.  Force d’avoir trop de ministres d’Etat à la présidence, le président se fait prendre en otage. Et, avec un cabinet d’Etat pléthorique, des conflits d’intérêts et de pouvoirs sont fréquents. Rattacher un organe stratégique à un tel cabinet est un non-sens et une faute stratégique. On ne pourra pas efficacement lutter contre la corruption, si la présidence de la République n’est pas reformée.  

Le Président de la République a un pouvoir de nomination, de révocation et d’instruction sur ces organes. Ce cela le pouvoir discrétionnaire. Ces instances ne sont donc pas indépendantes, ce qui est contraire aux conventions internationales paraphées par la Guinée. La Convention de l’Union Africaine pour la lutte contre la corruption, par exemple, oblige les Etats signataires à « mettre en place, rendre opérationnel et renforcer les autorités des agences nationales indépendantes chargées de lutter contre la corruption et qu’il leur soit accordée « l’indépendance nécessaire conformément aux principes fondamentaux du système juridique pour leur permettre d’exercer efficacement leur fonction à l’abri de toute influence indue.

Les prochains numéros seront publiés dans nos prochaines éditions

Par Ibrahima Sanoh



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