Soupçons de malversations, plaintes… A Saint-Denis, l’université Paris 8 dans la tourmente

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Alors que les élections pour la présidence de l’université approchent, l’ambiance est lourde à Paris 8 Vincennes-Saint-Denis après une série d’alertes concernant la gestion de l’institution.

 Saint-Denis, ce jeudi. L’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis élira un nouveau président en février.  Ils racontent à peu près la même histoire. Celle de deux hommes brisés, qui se disent victimes d’une cabale pour avoir dénoncé des malversations au sein de l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Le premier, Mohammed Raddadi, ancien directeur de l’IUT de Tremblay-en-France – établissement rattaché à Paris 8 –, estime s’être mis une partie du personnel à dos après avoir dénoncé des pratiques de « perruquage » qui se déroulaient dans l’atelier de l’IUT. Le terme désigne l’utilisation par des fonctionnaires de moyens publics pour réaliser des activités privées rémunérées.

« Il y avait des salariés qui réparaient des voitures sur leurs temps de travail dans cet atelier », affirme Mohammed Raddadi qui, lorsqu’il s’en aperçoit, dénonce alors ces pratiques à la présidente de Paris 8, Annick Allaigre, sans que cela ne suscite – assure-t-il – de réaction de sa part. C’est surtout lorsqu’il lui rapporte ses inquiétudes sur l’éventuelle corruption d’un des responsables de la faculté dans l’attribution d’un marché public de nettoyage de l’IUT que commence d’après lui sa descente aux enfers.

«On m’a même traité de salafiste !»

« On a monté un dossier contre moi, m’accusant notamment de communautarisme. On m’a même traité de salafiste ! » S’émeut ce Franco-Marocain, qui sera suspendu de ses fonctions en septembre 2019 « sans même passer devant un conseil de discipline ». Son départ créé des remous au sein de l’IUT de Tremblay. L’année scolaire 2019-2020 est marquée par de graves dysfonctionnements dans la gestion de l’établissement.

Ce mois-là, quatre responsables de l’IUT démissionnent de leurs fonctions pour dénoncer ces problèmes. « Depuis qu’il est parti, la gestion de l’IUT est catastrophique », nous expliquait ainsi un des démissionnaires à l’époque. En septembre dernier, Mohammed Raddadi est pourtant démis définitivement de ses fonctions. Depuis, il a lancé plusieurs procédures auprès du tribunal administratif pour contester ces décisions.

Son histoire ressemble à celle de l’ancien directeur des services de la recherche de Paris 8. Lui aussi dit avoir été mis de côté après avoir dénoncé des malversations au sein de la faculté. « En tant que directeur de la recherche, une de mes missions était de mettre les pratiques de l’université en conformité avec la loi, précise-t-il. La première année où je suis arrivé, j’ai constaté des irrégularités dans le travail de certains enseignants-chercheurs. »

Des frais professionnels injustifiés

Remboursements injustifiés de frais de transport, frais de déplacement remboursés pour assister à une conférence qui n’a jamais eu lieu, dépassement de frais de missions… Le directeur alerte sa hiérarchie à travers plusieurs rapports, et demande notamment la protection fonctionnelle contre un haut responsable de l’université qu’il soupçonne de couvrir des malversations.

« A partir de ce moment-là, une procédure disciplinaire a été lancée contre moi », raconte-il. Il est d’abord suspendu à titre conservatoire, puis déplacé d’office en novembre 2019. Sauf que depuis, aucun poste ne lui a été octroyé. « Je n’ai plus aucune perspective professionnelle, je suis payé à rester chez moi », se désole-t-il. Lui aussi a saisi le tribunal administratif pour faire annuler ces décisions.

Le parquet de Bobigny a ouvert une enquête préliminaire

En novembre dernier, la Dionysoise, un des syndicats de l’université, a dénoncé l’ouverture à candidatures de son poste. « Que se passerait-il si l’ex-directeur ayant fait appel au tribunal administratif de Montreuil était réintégré ? Que deviendrait ce nouveau recrutement ? », interrogeait-il, narguant deux caractéristiques demandées aux futurs candidats par la faculté dans son annonce : « loyauté » et « discrétion ».

L’ancien directeur de la recherche a également saisi le parquet de Bobigny en vertu de l’article 40 du code de la procédure pénale, qui oblige les fonctionnaires à faire part au procureur de la République de tout crime ou délit dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Depuis, le parquet de Bobigny a ouvert une enquête préliminaire portant notamment sur des « abus de biens publics, abus de confiance et actes frauduleux ou détournements de fonds publics ».

Les deux hommes remettent en cause la gestion de l’ex-présidente, Annick Allaigre, qui occupe le poste d’administratrice provisoire de l’université depuis octobre dernier en attendant les prochaines élections à la présidence qui auront lieu en février. Un scrutin auquel elle se représente, affrontant une campagne électrique. Ces dernières semaines, plusieurs syndicats ont dénoncé son management dans des mails envoyés à l’ensemble de l’université.

Début janvier, Force Ouvrière (FO) – qui a par ailleurs lancé une procédure au tribunal administratif contre l’université pour entrave à l’activité syndicale – lui a ainsi reproché d’avoir minimisé des insultes racistes en les qualifiant de « blagues potaches ». Parmi les insultes évoquées : le fameux « salafiste » adressé à Mohammed Raddadi ou encore un « gros singe noir » ciblant un maître de conférences.

«Souffrance au travail» et «discriminations syndicales»

La Dionysoise a également annoncé début janvier avoir déposé plainte contre X en septembre dernier pour harcèlement et discrimination syndicale. « Cette plainte, dont chaque fait est étayé par des preuves, ne vise pas une personne en particulier, mais elle vise à mettre en lumière et à dénoncer l’action de tous les protagonistes qui ont agi sous la mandature d’Annick Allaigre, mettant en place une mécanique instaurant une souffrance au travail et des discriminations syndicales ayant eu un impact sur la santé physique et psychique de plusieurs de nos membres. »

Un management que dénonce aussi l’équipe de campagne d’Olivier Archambeau, candidat face à Annick Allaigre. Un des enseignants qui le soutient a d’ailleurs réussi à faire annuler mi-décembre par le tribunal administratif de Paris les élections à la tête de l’Université Paris-Lumières. Cette ComUE (communauté d’universités et établissements) regroupe Paris 8, le CNRS et l’Université Paris-Nanterre.

Le tribunal a estimé que ce scrutin était entaché d’irrégularités. « Le choix délibéré des anciens présidents de Nanterre et de Paris 8 de ne proposer le 5 novembre 2019 au vote du conseil d’administration de la ComUE qu’une seule et unique personne pour respectivement la présidence et la vice-présidence de la ComUE (NDLR : ce qui laissait peu de doute sur l’issue du scrutin) bafouait les principes démocratiques les plus élémentaires », a réagi « Paris 8 demain », l’équipe d’Olivier Archambeau. Les nouvelles élections auront lieu les 9, 10 et 11 février.

L’ANCIENNE PRÉSIDENTE REJETTE LES ACCUSATIONS

L’équipe d’Annick Allaigre, qui n’a pas répondu à nos questions de vive voix, dit ne pas être au courant d’éventuelles malversations au sein de l’université. Elle rappelle que la gestion de Mohammed Raddadi a fait l’objet d’une enquête de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igers) ayant relevé « un management autoritaire et arbitraire ayant provoqué une souffrance au travail chez de nombreux agents et susceptible d’être qualifiés de harcèlement ».

Elle estime que la situation de tension et les dysfonctionnements graves constatés à l’IUT sont en grande partie imputables à l’ancien directeur. Ce que ce dernier dément, ayant d’ailleurs lui-même fait un rapport contradictoire à l’enquête de l’Igers où il démonte point par point ce qui lui est reproché.

Concernant l’ancien directeur des services de la recherche, l’université insiste sur le fait qu’il « a fait l’objet d’une sanction disciplinaire prise par le ministère de l’enseignement supérieur suite à un certain nombre de manquements professionnels ».

D’après son cabinet, Annick Allaigre n’a jamais minimisé d’insultes racistes. La « présidence a toujours fermement condamné les actes violents ou discriminants, pour peu que les faits soient établis », précise-t-il. Elle n’a pas non plus empêché le bon fonctionnement des instances syndicales. « La présidence de l’université a toujours respecté l’expression syndicale et n’a jamais démontré le contraire à ce jour », assure son cabinet. Enfin, concernant l’annulation des élections à la ComUE Paris-Lumières, son cabinet précise seulement en « prendre acte », justifiant le choix de ne proposer qu’un seul candidat par le fait que c’était une « possibilité que laissait entendre les statuts de la ComUE ».

Avec Le Parisien



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