Les crimes de haine aux Etats-Unis ont atteint leur plus haut niveau depuis une décennie

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La police fédérale fait aussi état d’un nombre record d’homicides parmi ces crimes, depuis le début de la publication de ces statistiques, en 1991.

Une peinture murale a été réalisée sur la façade d’un centre de défense des migrants à El Paso, au Texas. En août 2019, dans cette ville, un sympathisant d’extrême droite a tué une vingtaine de personnes, justifiant son acte par la volonté de freiner l’« invasion mexicaine » de l’Etat. Vernon Bryant / AP

Cela faisait plus de dix ans que les crimes de haine (hate crimes), c’est-à-dire motivés par des préjugés liés à l’ethnicité, la religion, l’orientation sexuelle ou encore le genre des victimes, n’avaient pas atteint un tel niveau aux Etats-Unis.

Dans son rapport annuel, rendu public lundi 16 novembre, la police fédérale américaine (FBI) en a recensé 7 314 au cours de l’année 2019 – le nombre le plus important enregistré depuis 2008 (7 783 incidents). Et, pour la troisième année d’affilée, le nombre de crimes haineux outre-Atlantique dépasse 7 100. Ces données regroupent aussi bien les atteintes violentes que des incidents non violents – comme les actes de vandalisme, par exemple.

Parmi ces crimes de haine, le FBI fait état de 51 homicides en 2019, soit plus du double de ceux signalés dans son précédent rapport (24) et le niveau le plus haut jamais atteint depuis le début de la publication de telles données, en 1991. En cause : la tuerie perpétrée au mois d’août 2019 sur le parking d’un hypermarché Walmart à El Paso (Texas), au cours de laquelle 22 personnes ont été tuées et plusieurs dizaines ont été blessées. Le terroriste, un sympathisant d’extrême droite âgé de 21 ans, avait alors justifié son acte par une volonté de freiner l’« invasion hispanique » dans cet Etat du sud du pays.

Selon les principaux éléments du rapport :

les crimes motivés par des préjugés racistes concernent 57,6 % des incidents signalés. Le nombre de cas ciblant la population noire et afro-américaine a légèrement diminué en 2019 : 1 930, contre 1 943 en 2018. Mais cette dernière n’en reste pas moins la première victime de ces actes (48,5 %). Les crimes contre les Hispaniques sont, eux, en hausse, de 485 en 2018 à 527 en 2019 ;

les crimes motivés par des préjugés sur la religion concernent 20,1 % des incidents signalés. Les juifs en sont les premières victimes (60,2 % des infractions), suivis par les musulmans (13,2 % des infractions) ;

les crimes visant les personnes LGBT+ ont augmenté en 2019, avec, notamment, une hausse de 18 % des actes contre la communauté transgenre – la plus forte depuis que le FBI a commencé à recueillir ces données spécifiques, en 2013.

Par ailleurs, détaille le rapport, les auteurs des crimes de haine recensés au cours de l’année écoulée sont le plus souvent des Blancs (52,5 % des cas).

L’ampleur du phénomène « largement » sous-évalué

Toutefois, « le rapport annuel du FBI sous-estime largement le niveau réel des crimes de haine [commis] dans le pays », estime le Southern Poverty Law Center (SPLC), association qui suit l’évolution des groupes de haine aux Etats-Unis.

Une dimension qui tient – en partie – au fait que les victimes ne signalent pas forcément ce type d’incidents. Le SPLC relève notamment le manque de confiance entre les forces de l’ordre et les communautés concernées, mais aussi les carences de formation dans la gestion de tels dossiers. Dans un rapport de juin 2017, le ministère de la justice avait ainsi estimé qu’en moyenne 250 000 crimes haineux sont commis chaque année outre-Atlantique.

Mais la plus grande limite aux données du FBI réside dans le fait que les diverses agences de police, locales et à l’échelle des Etats, ne sont pas tenues de communiquer les informations à l’organisation fédérale.

La loi sur les statistiques des crimes de haine (Hate Crime Statistics Act), votée en 1990, prévoyait que les autorités fédérales dressent cet état des lieux sur les éléments recueillis et transmis par plus de 18 000 organes d’application de la loi.

Or, pointe The Washington Post, l’année 2019 a été marquée par une baisse du nombre de structures participant à cet effort de collecte et de recensement : de 16 039 en 2018, elles n’étaient que 15 558. Et seulement 2 172 d’entre elles – moins de 14 % – ont signalé un ou plusieurs crimes de haine.

En d’autres termes, tous les autres ont soit déclaré n’avoir recensé aucune offense de ce type l’an passé, soit n’ont fourni aucune donnée. « Y compris plus de 80 villes de plus de 100 000 habitants », s’étonne le Southern Poverty Law Center.

De son côté, The New York Times souligne certaines omissions notables dans de précédents décomptes, comme la mort d’une manifestante antiraciste écrasée par un néonazi lors d’une manifestation de l’extrême droite, en 2017, à Charlottesville, en Virginie.

La hausse du suprémacisme blanc

Les récentes données du FBI montrent aussi que les crimes de haine signalés aux autorités fédérales ont augmenté durant la présidence de Donald Trump. Entre 2016 et 2017, un pic de 17 % des incidents signalés avait ainsi été constaté. Lors de l’année 2018, leur nombre avait très légèrement diminué, avant une nouvelle hausse l’an passé.

Pour le Southern Poverty Law Center, cette tendance est directement liée à la croissance du mouvement prônant le suprémacisme ou le nationalisme blanc, dont le nombre de groupes a augmenté de 55 % entre 2017 et 2019. Lors de son mandat à la Maison Blanche, Donald Trump a toujours renâclé à condamner cette idéologie.

Et l’association met en garde contre la stratégie des « accélérateurs », en vogue dans cette mouvance :

« Pour un segment croissant du mouvement nationaliste blanc, la violence n’est pas seulement un moyen d’infliger des dommages à des groupes qu’ils jugent inférieurs, mais une stratégie pour alerter d’autres Blancs sur les dangers perçus de l’immigration, de l’intégration raciale et du déclin des Blancs en pourcentage de la population américaine. »

Des données complémentaires du Centre pour l’étude de la haine et de l’extrémisme de l’université d’Etat de Californie soulignent, aussi, que le nombre d’homicides perpétrés par des sympathisants de cette cause ont augmenté en 2019, pour la troisième année de suite.

Le département de la sécurité intérieure avait mis en garde, en octobre, sur les menaces que représente la violence liée au suprémacisme blanc. Dans un rapport, il estimait que 2019 avait été « l’année la plus meurtrière » en matière d’extrémisme sur le sol américain depuis l’attentat d’Oklahoma City, en 1995. A l’époque, Timothy McVeigh, un survivaliste opposé au contrôle des armes à feu et proche du mouvement des miliciens (extrême droite), avait fait exploser une voiture piégée aux abords d’un bâtiment fédéral du centre de la ville, tuant 168 personnes et blessant plus de 680 autres.

Un contexte de tensions accentué en 2020

Le rapport du FBI sur les crimes de haine ne manque pas de faire écho à la situation actuelle aux Etats-Unis, alors que l’année 2020 a été traversée par une vague de dénonciations et de colère contre les discriminations dans le pays.

La campagne présidentielle a ainsi été largement marquée par une résurgence de la question raciale, notamment sous l’angle des violences policières, après la mort, fin mai, de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, lors d’une arrestation brutale à Minneapolis (Minnesota). Cette tragédie a donné lieu à des affrontements entre les manifestants du mouvement Black Lives Matter et des suprémacistes blancs.

La pandémie de Covid-19 s’est aussi accompagnée d’une vague de discriminations, voire de violences, à l’égard de la population d’origine asiatique ; des préjugés renforcés par les propos du 45e président du pays contre le « virus chinois ». Dès avril, le directeur du FBI, Christopher Wray, avait ainsi fait part de sa préoccupation face au risque de « crimes haineux commis par des individus et des groupes ciblant les populations minoritaires aux Etats-Unis qu’ils estiment responsables de la propagation du virus ».

Lors du dernier débat présidentiel, fin octobre, le candidat démocrate, Joe Biden, avait estimé que Donald Trump mettait « de l’huile sur chaque feu raciste », rappelant que le républicain était entré en campagne dès 2016 en ciblant les « violeurs mexicains » et qu’il avait, à peine installé à la Maison Blanche, mis en place le « Muslim ban », des restrictions d’entrée sur le territoire américain des ressortissants de plusieurs pays majoritairement musulmans. Le président sortant avait aussi largement alimenté la polémique sur le certificat de naissance de Barack Obama, depuis 2007.

Le Monde



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