AUTOPSIE D’UNE JUSTICE A L’AGONIE (PAR UN JURISTE EN PLEIN DÉSARROI)

1333

Dans un pays trois entités permettent à la Justice de tirer son épingle du jeu et de bâtir un Etat de Droit dans lequel chaque citoyen est protégé avant, pendant et après l’exercice de ses droits fondamentaux et sanctionné lorsqu’il/elle viole la Loi :

Ces entités sont :

1-         L’Exécutif à travers le Président de la République et le Ministre de la Justice, garde des sceaux :

L’article 107 de la légale et légitime Constitution de 2010 dispose : « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. La justice est rendue exclusivement par les Cours et Tribunaux » ; et l’article 108 renchérit que «  leur décision définitive s’imposent aux parties, aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives, juridictionnelles et aux forces de défense et sécurité », l’article 109 enchaine en disposant que les Magistrats ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi, ils sont inamovibles dans les conditions déterminées par la loi et sont nommés, affectés par le P.R, sur proposition du ministre de la Justice et après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature et que toute nomination ou affectation est nul et de nul effet sans avis conforme du CSM.

Ces articles cités ci-haut montrent clairement dans les textes toutes les garanties juridiques permettant aux magistrats d’être impartiaux et indépendants, mais il en est tout autre dans la pratique. Depuis plusieurs décennies, la Justice Guinéenne a vécu dans l’inféodation totale de l’exécutif car le Ministre de tutelle décidait et décide du sort de chaque magistrat, c’est-à-dire qu’il peut suspendre, démettre et à une certaine époque radier un Magistrat sans aucune procédure légale ou forfaiture de ce dernier, cette situation longtemps devenu une pratique s’est perpétuée, de là est née la culture d’une obéissance aveugle aux ordres de l’exécutif.

 La mise en place du Conseil Supérieur de la Magistrature et la signature du décret portant statut particulier des magistrats, les différentes reformes du secteur judiciaire avec l’appui technique et financier de l’Union Européenne, le recrutement de cinq 5 promotion de 50 jeunes chacune depuis 2009 n’ont pas répondu aux attentes malgré certaines améliorations peu significatives car de Bassirou Bah, Zogbelemou, Christian Sow en passant par Cheick Sacko jusqu’à ce Mohamed Lamine Fofana, force est de croire que les mêmes pratiques, ingérence, pression, suspension illégale, affectation sans motifs et par Arrêté n’ont jamais cessées, ce qui a enterré la sécurité juridique que confère la Constitution aux Magistrats, du coup les conséquences les mêmes, plusieurs Magistrats, les 80 pour cent sont aux soldes de l’exécutif, malheureusement cette situation a permis à ce dernier de faire basculer généralement en sa faveur la quasi- totalité des décisions lorsqu’il s’agit de litiges politiques, le peu de magistrats qui se sont soustraits de leur volonté au détriment de celle de la Loi se sont vus demis de leur fonction ou affectés dans des préfectures enclavées ou il n’y a même pas de locaux pour travailler et privés de toutes formations continues au pays tout comme à l’extérieur.

Voilà comment l’exécutif dans sa volonté de maintenir toutes les institutions de la République sous son dictat a annihilé toutes volontés d’investissement par des investisseurs sérieux qui respectent non seulement les clauses des contrats , mais aussi la dignité, l’honneur et l’intégrité des employés locaux, contrairement aux chinois qui disposent quasiment de toutes nos mines et qui se foutent royalement des conditions de vie de leurs employés, du climat politique et des garanties juridiques du pays d’investissement, et de cette même malsaine volonté, il ( exécutif) empêche toute poursuite judiciaire contre ses hauts cadres qui se sont enrichis et continuent de le faire de façon illégale, grossière sous le regard impuissant des pauvres citoyens qui tirent le diable par la queue, ainsi faisant de la Justice la machine de répression  du pouvoir exécutif au détriment du peuple tout entier au nom duquel elle est rendue. Pour preuve aujourd’hui après les incidents post électoraux du 22 Mars 2020 à Nzérékoré, sur 45 personnes interpellées , 40  sont guerzés, or trois Eglises ont été incendiées, sur les 30 morts près de 25 sont guerzés, sur les 300 et quelques bâtiments incendiés et détruits près de 250 sont des victimes Guerzés, pourtant les incidents se sont déroulés entre Koniankés et Guerzés, pire ces personnes interpellées ont été transférées à Kankan dans une violation flagrante de nos textes de lois sans que les Juges en charge du dossier ne soient informés ou associés sous l’initiative du Gouverneur et du commissaire central.

2-         les Magistrats, d’ailleurs c’est d’eux il s’agit, ils sont ces hommes et femmes qui ont la lourde et honorable mission de faire de ce pays un havre de paix, favoriser la venue d’investisseurs sérieux et faire en sorte que le pouvoir exécutif soit aussi soumis au respect stricte de nos lois.

En 2014 la loi Organique L/054/CNT/2013 portant statut des magistrats fut adoptée et promulguée, octroyant ainsi l’indépendance qu’ils ont toujours clamée pour se soustraire de l’emprise de l’exécutif et aussi par la mise en place du Conseil Supérieur de la Magistrature, malheureusement peu de choses ont changé dans la pratique car bon nombres d’anciens qui ont toujours vécus sous l’intimidation et le dictat de l’exécutif n’ont su se détacher pour se  maintenir à leur poste, quant aux quatre promotions recrutées depuis 2009, dans le but de donner un nouveau souffle à un appareil vieillissant miné par la corruption et la peur, ils sont hélas beaucoup attirés par une vie de luxe (beaux costumes, belles voitures et belles villas) rapidement, du coup ils ont emboité les pas de certains anciens, conséquence, le peu de changement au sein de l’appareil n’est pas visible quand bien même que de bonnes décisions sont rendues, c’est d’ailleurs pourquoi le peuple voit une main cachée derrière chaque décision de Justice, qu’elle soit bonne ou mauvaise.

Pour rappel depuis le mois de Janvier 2020, ils( magistrats) ont bénéficié d’une augmentation substantielle de salaire qui doit réellement les mettre à l’abris de toute forme de corruption, chose qui a créé une indignation de beaucoup de Guinéens, notamment certains acteurs politiques, le FNDC et le SLECG, pourtant il est tout à fait normal que le magistrat soit bien et très bien traité vu la complexité de son travail, en plus il incarne et représente un des trois pouvoirs de la Nation, un magistrat bien rémunéré est une garantie de bonne Justice, mais force est de croire que dans leur majorité, ils pensent qu’ils doivent cette augmentation à la générosité du Chef de l’Etat qui a signé le décret d’application d’un texte existant depuis plusieurs années, ils le considère comme un don et non un droit que les confère la loi, du coup ,ils en font un motif pour céder à tous les caprices et volontés de l’exécutif, les ingérences passent comme un courrier à DHL, les violations successives et répétées de la loi sont devenues un principe sans que les parquets ne disent mots, mais sont prompts à taper le poing sur la table, interpeller et faire  condamner d’autres citoyens par des décisions synchronisées, concertées et imposées à travers des JUGES choisis par eux, qui n’ont pas encore ou ne parviendront jamais à intégrer dans leur cerveau l’indépendance qui sied au magistrat du siège en toutes circonstances. mais pour faire plaisir à l’exécutif ou s’attirer sa faveur, ils les condamnent pendant que des personnes comme Paul Moussa sont libres , pourtant condamner à 5 ans d’emprisonnement, une justice à deux vitesse, des personnes sont assassinées lors des manifs et dans des quartiers, aucune enquête sérieuse n’est faite, il y’en a qui sont kidnappées par des hommes cagoulés en uniforme, les parquets ne se bougent pas, d’autres disparaissent , rien n’est fait, les exactions policières, aucune sanction, à ces maux s’ajoutent les détournements et la corruption comme règle qui sont dénoncés à longueur de journée dans la presse, pire nos magistrats se préparent à aller présider les Commission Administratives de Centralisation des Votes CACV pour un referendum constitutionnel dont le projet les soumet définitivement à la volonté du Président de la République( voir la différence entre l’art 109 de la Constitution en vigueur et l’art 112 du projet de nouvelle Constitution) sur la procédure de nomination et affectation des magistrats, malgré tout cela, la Justice ne se bouge pas pour punir les personnes coupables de ces infractions qui pourtant mettent le pays à genou, qu’attend elle notre Justice ? un exécutif qui viendra leur dire je vous laisse tranquille, je vous donne votre INDEPENDANCE, il n’existe pas cet exécutif dans ce monde, c’est à elle et uniquement à elle de mesurer l’ampleur de son pouvoir et de dire NON, STOP à toutes ces dérives, à toutes nos souffrances en refusant toute ingérence, en jugeant impartialement , puis en gardant et revendiquant jalousement son indépendance totale pour que le petit Mamadou qui a volé le téléphone dans le marché se retrouve en prison au même titre que ce Directeur, ce ministre et toute autres cadres ayant volés l’argent du contribuable ou l’a détourné ou dissipé à d’autres fins, ainsi la Justice à travers les magistrats pourra s’affranchir et tirer cet appareil vers le haut.

3-         Les Avocats :

Ils sont ces hommes et femmes qui apportent de l’équilibre nécessaire dans les procédures judiciaires, ce sont des indépendants qui sont rémunérés par les clients qu’ils défendent en matière civile, pénale et commerciale, ils et elles sont tenus dans leur travail par l’obligation de moyens et non celle du résultat car ce ne sont pas eux/elles qui décident, mais force est de constater qu’il y’en a parmi eux qui n’honorent pas pas cette profession, tout comme il en existe dans la magistrature, pour ces quelques Avocats, dès qu’ils perdent un procès à tort ou à raison, ils le mettent à l’actif du magistrat ayant rendu la décision, ainsi ils entretiennent dans la tête de leurs clients qu’ils ont perdu ou gagné non pas parce que la loi est ou pas de leur côté, mais parce que le Juge a été corrompu , cela pour camoufler leur carence et pour soutirer plus d’argents des poches du client en relevant appel, allant jusqu’au pourvoi devant la Cour Suprême, l’objectif visé par ces quelques avocats n’est pas de gagner légalement un procès, mais le faire perdurer pour obtenir plus de liquidités souvent au nom des magistrats avec lesquels ils n’ont jamais parlé d’argents et qui n’ont jamais vu la couleur de cet argent, ainsi ce groupe d’Avocats contribuent à décrédibiliser cet appareil fragilisé par tous ces maux cités ci haut quand bien même que la Justice dispose de magistrats compétents, intègres, honnêtes, indépendants dans la tête, impartiaux, collés aux textes de lois et qui ne cèdent face à aucune à aucune pression de l’exécutif, ni à la tentation de l’argent, de cette même manière  elle dispose de brillants avocats, intègres honnêtes, respectueux des procédures, qui ne sucent pas immoralement leur client  et qui se battent sur tous les fronts, tous les jours et partout pour que force ne reste qu’à la loi, Maîtres Traoré, Béa, Pépé Antoine, Houleymatou Bah, Halimatou Camara, Mamoudou Sané pour ne citer que ceux-ci sont un bel exemple d’avocats.

Pour relever le défi d’une Justice indépendante et impartiale autant dans les textes que dans la pratique, qui réponde aux aspirations du peuple au nom duquel elle est rendue, d’une justice qui favorise la paix et le développement économique du pays, il faut d’abord :

–          Que le Président de la République ne soit plus Président du Conseil Supérieur de la Magistrature ;

–          Que le Ministre de la Justice Garde de Sceaux n’en soit plus le vice-président car c’est à partir de ces deux fonctions ils exercent de fortes pressions sur les Magistrats dans des procédures ;

–          Que le Conseil Supérieur de la Magistrature soit l’organe effectif qui travaille sur la gestion de la carrière des magistrats qui sont entre autres nomination, affectation, promotion et sanction en toute indépendance ;

–          Que nul magistrat ne soit nommé et affecté par décret sans l’avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature tel qu’il prévu par la Constitution ;

–          Qu’aucun magistrat ne soit nommé ou affecté par Arrêté d’un Ministre de la Justice tel couramment fait ;

–          Que les magistrats soient solidaires et prêts à attaquer devant la Cour Suprême toute affectation faite par un Ministre de la Justice car c’est en violation de la Constitution et une manière de les maintenir sous le dictat de l’exécutif si cela continue ;

–          Que l’organe disciplinaire du CSM soit intransigeant si les preuves d’une carence avérée, de corruption et de partialité sont réunies à l’encontre d’un quelconque magistrat ;

–          Que la promotion des jeunes compétents, intègres à la tête des juridictions de première instance soit à nouveau une réalité tel au temps de l’ex Ministre Cheick Sacko ;

–          Que les parquets généraux ne soient plus soumis aux ordres du Ministre de la Justice pour qu’ils agissent en totale indépendance car c’est là le point d’entrée de l’exécutif dans le judiciaire ;

–          Que le recrutement de futurs magistrats se fassent de la façon la plus transparente afin que l’appareil judiciaire soit animé par la crème des juristes ;

–          Que les conditions de travail dans des locaux dignes de ceux de la Justice soient une réalité à Conakry et dans toutes les préfectures du pays.

–          Que le Conseil de l’Ordre des Avocats se penche sur le cas  de ceux et celles d’entre eux qui se livrent à toutes pratiques déshonorant leur corps à travers des sanctions ;

C’est seulement ainsi qu’on pourra faire du Pouvoir Judiciaire une Institution qui œuvre pour la paix, la démocratie, l’égalité, la justice et le développement économique de notre Nation.

Par un Juriste en plein désarroi.

K.D.K



Guinée Nondi, tout ce qui est information de qualité est notre