Tribune : Les pandémies sont imprévisibles mais pas infaillibles ( par le virologue Claude Hannoun)

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La majorité des maladies infectieuses récentes ont leur origine dans des réservoirs animaux : Sida chez les singes africains, grippes aviaires et porcines, Ebola chez des rongeurs, coronavirus chez les chauves-souris avec des relais tels que civette ou pangolin. Les modifications apportées par l’homme au milieu naturel ne sont pas étrangères au franchissement de la barrière d’espèce qui protège l’homme dans les périodes d’équilibre. Mais lorsque ce franchissement se produit, il ne s’en suit pas toujours une épidémie ou du moins pas tout de suite. Pour que l’homme soit infecté, il faut que le virus s’adapte à ce nouvel hôte ce qui nécessite plusieurs étapes de mutations et qui rend encore plus difficile la prévision du phénomène.

Mortalité mondiale au XXe siècle

Guerres

1914-1918 :                                  4 millions

1940-1945 :                                  8 millions

Épidémies

1918-1919 : grippe espagnole    50 millions

1957 : grippe asiatique                 4 millions

1968 : grippe de Hong Kong         1 million

1981-2020 : Sida                        35 millions

2014-2016 : Ebola                            11 000

2002-2003 : SARS                                770

2015-2020 : MERS                               850

2019-2020 : Covid-19                    240 000 (au 1er mai)

Quelques exemples caractéristiques

La grippe espagnole, la plus grave pandémie de l’histoire de l’humanité qui fit plus de 50 millions de morts en quelques mois, apparaît en 1917 aux États Unis et provoque des épidémies en milieu militaire. Le virus est transporté par les troupes américaines en Europe au printemps 1918 et cause quelques épisodes épidémiques dans les armées alliées, mais sans caractère de gravité exceptionnelle. Cependant, l’épidémie se réveille à l’automne et se déroule alors une deuxième phase catastrophique en Europe, puis dans le monde entier sans épargner l’Afrique ni l’Asie. Plus de 50 millions de morts sont enregistrées avec un pic en novembre 1918 alors que la guerre se termine, l’armistice faisant plus facilement la une de la presse que l’extinction progressive de la maladie. Une troisième vague sera pourtant encore observée au printemps 1919. Le virus persistera ensuite sous la forme de grippe saisonnière au cours des années suivantes. On lui donnera plus tard le nom de H1N1 lorsque la structure du virus, isolé en 1933, sera mieux connue. Un virus analogue fera son retour en 2009 et causera quelques inquiétudes.

La grippe asiatique (1957), de type H2N2 (cassures de l’hémagglutinine et de la neuraminidase, deux composants essentiels de la surface du virus), est un virus nouveau, sans immunité croisée avec le précédent. Une épidémie sérieuse (4 millions de morts dans le monde). On ne comprend pas encore très bien les mécanismes de variations du virus. Un vaccin sera préparé avec le nouveau virus pour les années suivantes.

La grippe de Hong Kong (1968), de type H3N2 (cassure de l’hémagglutinine). C’est un virus partiellement nouveau provenant d’une recombinaison génétique chez les animaux. Il commence en Asie, se manifeste à bas bruit en Europe au printemps mais ne devient dangereux qu’à l’hiver 1969-1970. Il n’y a pas d’immunité croisée avec le précédent, mais on met du temps à l’identifier et à comprendre la différence. Le vaccin n’est pas prêt pour la saison suivante. Le virus s’installe et devient un virus saisonnier.

Téhéran

Au cours d’un congrès de médecine tropicale rassemblant 800 spécialistes à Téhéran en septembre 1968, quelques collègues japonais ont introduit le virus dans la salle de congrès dès le premier jour et le confinement d’une assemblée studieuse entraîna la contamination immédiate de 70 % de l’assistance ainsi que le démontra une étude menée par la suite par un représentant de l’OMS. Il fut aussi démontré que 14 sujets encore contagieux repartirent à la fin du congrès dans divers pays européens. Mais il n’y eut pas de cas secondaires ou en tout cas pas d’épidémie. Le virus (H3N2) devait faire sa réapparition au printemps 1969 dans plusieurs pays européens puis s’éteignit rapidement. L’épidémie véritable n’apparut en réalité qu’en septembre 1969 et pendant l’hiver suivant. Il y eut 36 000 morts en France, mais le virus avait dû s’y reprendre à trois reprises pour causer une épidémie.

Le Covid-19

En novembre 2019, des cas de SRAS dus à un nouveau virus de la classe des corona éclatent en Chine, puis s’étendent à partir de janvier 2020 à d’autres pays asiatiques puis au reste du monde avec des extensions variables selon les pays. Au 1er mai, on a dénombre 240 000 morts, mais la maladie reste encore très active bien que le nombre des cas diminue dans les pays touchés les premiers.

Penser l’avenir

Il y a donc souvent eu à l’origine de la diffusion explosive d’une épidémie (grippe ou Covid-19) un événement fondateur bien individualisé dont le déroulement conditionne toute la suite de l’évolution du phénomène : réunion massive de sujets en milieu confiné pendant plusieurs jours (Téhéran, Mulhouse, Ischgl), milieu artificiel confiné (bateau Diamond Princess, paquebot australien, porte-avions français et américains), stades (Milan, Paris), événement suivi de l’extension rapide de la maladie par la dispersion des sujets atteints de façon symptomatique ou non. En revanche, le SRAS, le MERS ou la grippe H5N1 (grippe aviaire) n’ont pas pu s’implanter de façon stable après la phase initiale et ont pratiquement disparu. L’avenir nous dira quel sera le comportement du Covid-19.

On peut penser que l’une des stratégies les plus efficaces de prévention pourrait être de s’efforcer de détecter le plus précocement possible les cas initiaux, les isoler de façon rigoureuse, de recenser les contacts qu’ils ont pu contaminer et les mettre sous surveillance avec des tests répétés afin de couper le mécanisme explosif initial.

Certes, il n’est pas possible de prévoir les pandémies, mais on peut espérer en limiter rapidement les conséquences.‌

Source RFI



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