Education: Comment inventer le modèle éducatif guinéen ? Une analyse du sociologue Aboubacar Mandela Camara

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Il n’est l’ombre d’aucun doute que notre système éducatif actuel est un prolongement, à quelques exceptions près, de l’école coloniale. Une école dont le but était la formation des « cadres subalternes » au service du « maître blanc ».

Depuis plus d’un demi-siècle, l’Afrique se bat bec et ongles pour sortir du gouffre d’incertitude dans laquelle elle est plongée depuis sa collision avec l’occident. Elle compte, en vain sur  « l’aide extérieure », sur les « experts » venus d’ailleurs, jugés détenteurs du sésame. Pourtant, à l’instar de la démocratie et de la monnaie, il n’existe pas un modèle universel de système éducatif.

-Comment la guinée pourrait-elle inventer son propre modèle éducatif, sa propre école ?

En effet, pour la « dynamisation du système éducatif » afin d’éviter la « poussée du désert culturel », le Malien, Elie KAMATE dans son ouvrage ‘’Quel développement pour l’Afrique ?’’, propose trois approches majeures à savoir :

La revalorisation des langues maternelles

La révision des programmes

La formation des formateurs

Parlant de la revalorisation des langues maternelles, il a été constaté que le monde entier vit « une crise de l’apprentissage » comme l’indique le rapport 2018 de la Banque Mondiale. Une des solutions suggérées pour pallier à ce phénomène est l’enseignement des langues maternelles.

A ce propos, Abdou MOUMOUNI, cité par Elie KAMATE souligne : « l’introduction des langues africaines est le moyen de respecter et de sauvegarder la personnalité de l’enfant, le lien de l’école avec la vie et le génie des peuples africains ; c’est ainsi seulement qu’on peut préparer la renaissance des cultures africaines à travers le développement des langues nationales et la généralisation de leur utilisation dans l’enseignement comme dans tous les systèmes de l’activité sociale. »

On ne pourrait dire mieux qu’Elie KAMATE qui souligne : « il a été établi et convenu qu’aucune autre langue ne peut valablement remplacer la langue maternelle de l’enfant : psychologiquement, c’est le système de signes significatifs qui, dans son esprit, provoque automatiquement l’expression et la compréhension…Sociologiquement, c’est un moyen d’identification au sein de la communauté à laquelle il appartient ; et sur le plan éducatif, il apprend plus vite avec elle qu’avec une langue étrangère. »

Concernant les programmes d’enseignement, nous le savons tous qu’ils ne sont pas adaptés aux réalités socio-culturelles et mêmes celles politiques de nos sociétés. Pire encore, ils ne favorisent l’obtention rapide d’emploi car en déphasage, le plus souvent, à l’offre disponible. En fin, ils n’aiguillent pas l’esprit entrepreneurial et l’autonomie des apprenants.

A ce titre, Elie KAMATE souligne :

L’école importée, qu’elle soit de type capitaliste ou socialiste est incapable à elle seule d’assurer la socialisation et l’éducation des enfants africains. Qu’importe la méthode et le contenu de l’enseignement dispensé, l’école dite moderne ne peut extirper de l’enfant, les traces de son milieu d’origine, ni les remplacer. L’école moderne est toujours restée parallèle à une ‘’école populaire’’ où l’apprentissage s’effectue dans les rues, les champs, derrière les animaux ou à la maison. L’école du Blanc est venue doubler la vie quotidienne du petit africain. Désormais, ce dernier passe une partie de son temps, assis sur un banc entre les quatre murs d’une classe. Pour que l’apprentissage réussisse, il faut nécessairement que ce second milieu soit le reflet ou la continuation du premier qui est l’environnement de l’enfant. C’est alors qu’il aura le goût et la volonté d’apprendre. Il ne sera ni isolé, ni bloqué dans son psychisme et il se reconnaîtra à travers les valeurs culturelles que véhicule l’enseignement.

La révision des programmes scolaires s’avère donc imminente pour les adapter aux réalités de nos sociétés et faire de l’école africaine, l’école guinéenne, une ‘’école de développement’’, une école de métiers, des métiers de chez nous. On pourrait ainsi enseigner ou enseigner plus : notre histoire, notre philosophie, nos coutumes et civilisations.

En plus, nous avons la formation des formateurs, les parents pauvres des grandes réformes du système éducatif. Ils ont non seulement un faible niveau (académique et pédagogique) mais aussi ils sont mal nourris, mal logés, mal habillés et mal équipés. Pourtant, toute réforme qui ne tient pas en compte ces acteurs incontournables de la qualification de l’éducation, sera vouée à l’échec.

C’est dans cette optique qu’Elie KAMATE affirme :

La revalorisation des langues maternelles et la révision des programmes scolaires seront infailliblement vouées à l’échec si une attention toute singulière n’est pas accordée aux enseignants, ceux-là qui ont la charge d’appliquer toutes les innovations. Nombreux sont les parents d’élèves qui se plaignent de la qualité de l’enseignement, du bas niveau des élèves et étudiants. Ce constat, dans beaucoup de cas, est juste, et découle du fait que des états ont ‘’mis la charrue devant les bœufs’’. Ils se sont surtout intéressés aux programmes, au matériel didactique et pédagogique et à l’organisation administrative de l’éducation, alors qu’au même moment la formation des pédagogues était négligée. Or, si le contenu de l’enseignement est modifié et même adapté et si les enseignants n’ont pas adopté de nouvelles attitudes allant dans le sens du renouveau, toute innovation est vaine. Il ne s’agit pas de supposer ou d’affirmer que les enseignants doivent prendre conscience de leur nouvelle responsabilité. Encore faudrait-il qu’ils reçoivent une formation adéquate pour assumer pleinement les devoirs et obligations qui sont les leurs. Généralement, seuls sont mis en exergue les devoirs des instituteurs et professeurs, tandis que leurs droits sont oubliés.

Quant au célébrissime historien africain, Joseph Ki-Zerbo, Ex membre du conseil exécutif de l’UNESCO et du conseil de l’université des Nations Unies, il demande d’ « africaniser » l’école dans des propos clairs et précis :

Même les religions se sont adaptées aux ‘’coutumes’’, c’est-à-dire aux cultures africaines. Seule l’école les ignore ou les nie. Dans ces conditions, il faut non seulement réformer mais transformer l’école en l’ouvrant largement sur la partie extra-scolaire du dispositif éducatif et en changeant les contenus des enseignements, ainsi que la structuration du travail éducatif, mais aussi les méthodes d’apprentissage. C’est là qu’interviennent l’étude du milieu et la production, par lesquelles l’école extra-muros devient la vraie école dont l’Afrique a besoin. Par là aussi, l’école primaire peut être associée largement à l’éducation fondamentale pour produire l’Africain de base, celui qui sert de soubassement aux patries africaines, éléments d’une grande nation à bâtir. Une pédagogie nouvelle doit unifier les démarches dans le sens de l’africanisation en particulier par l’irruption de la nature et des cultures ambiantes, ainsi que par le travail productif conçu comme un prodigieux moniteur. L’un des facteurs-clés de cette rénovation, c’est l’introduction des langues africaines dans le dispositif  éducatif…

En fin, les pays africains en général, la Guinée en particulier, doivent oser reformer en profondeur leurs systèmes éducatifs en l’adaptant aux réalités sociales, culturelles, historiques et politiques de l’Afrique originelle.

Cette réforme devrait tenir en compte tant bien la revalorisation des langues maternelles, la révision des programmes que la formation des formateurs.

Il reste à savoir : l’Etat guinéen est-il prêt à faire de l’éducation « la priorité des priorités » ?

Aboubacar Mandela CAMARA Sociologue, Enseignant-Chercheur



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