La Santé publique en Guinée, un enjeu crucial : Une analyse de Sayon Dambélé

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En Février 2018, une vidéo circulait sur les réseaux sociaux montrant le témoignage saisissant d’un journaliste français qui explique éloquemment comment l’importation des boîtes de concentrés de tomates en Afrique, et principalement en Afrique de l’Ouest, constitue « un énorme scandale sanitaire ». Dans cette vidéo, le journaliste explique la mécanique cynique des conserveries chinoises qui proposent aux firmes importatrices de couper le concentré de tomates avec divers additifs pour que le produit à l’achat soit moins cher. En plus des additifs, il n’est pas rare que le concentré de tomates commercialisé sur les marchés africains soit périmé, perdant du coup sa couleur rouge d’origine qui est restaurée avec l’aide d’autres produits de coupe.

Ce témoignage conforte hélas une intuition collective selon laquelle nos marchés locaux sont massivement inondés de produits de mauvaise qualité. Les méfaits de la porosité de nos frontières sont multiples et dévastateurs, en particulier sur les plans économique et sanitaire. D’un point de vue socio-économique, cette ouverture à tous les vents à des produits étrangers à bas coût affaiblit les filières locales de production déjà fragilisées par d’autres facteurs endogènes. En outre, ces produits périmés, bourrés d’additifs et d’édulcorants (les fameux E sur les étiquettes ou les boîtes de conserve) ont un impact négatif sur la santé des populations tout comme d’ailleurs l’importation des médicaments.

Il est urgent que les pouvoirs publics, les acteurs de la société civile ainsi que les chercheurs dans différentes disciplines (médecine, épidémiologie, chimie, agronomie, économie, anthropologie médicale et de la santé…) se mobilisent de manière concertée pour faire face à ce qu’il convient d’appeler, à juste titre, un scandale sanitaire. A court terme, il faut renforcer les contrôles douaniers à nos frontières, notamment terrestres et maritimes sur tous les produits comestibles. Ce contrôle doit être double. D’une part, mobiliser une expertise locale en matière de contrôle de qualité ou à défaut solliciter une collaboration étrangère dans ce domaine. Cela y va de notre survie. Plus généralement, réfléchir à doter des cursus de formation en chimie ou en ingénierie alimentaire des compétences en matière de contrôle de qualité. Parallèlement, cette démarche doit être accompagnée de mesure de lutte contre la corruption d’agents véreux et leurs complices qui bidouillent les codes douaniers. La justice doit être implacable contre toutes les filières de corruption.

Tout cet arsenal administratif et juridique doit être corrélé aux campagnes d’éducation à la santé et à une sensibilisation en faveur d’une alimentation équilibrée. La question alimentaire en Guinée est cruciale. Il faut de manière macro, créer les conditions d’une autosuffisance alimentaire en travaillant sur les structures de production et en organisant les coopératives de producteurs locaux. Vaste sujet. Par-delà l’accès à la nourriture pour tous, c’est surtout la surconsommation du gras et du sucré, majoritairement réservée à une classe moyenne en Guinée qui pose aussi des problèmes de santé. Celle-ci, en raison d’un pouvoir d’achat plus élevé que la moyenne, s’offre des produits à fort taux de lipides avec une fréquence de consommation problématique. Il n’est pas aberrant de penser qu’il y a un lien étroit entre la prévalence élevée, entre autres, du diabète et de l’hypertension dans cette frange de la population et les comportements alimentaires – même si je ne sache pas qu’il existe une étude épidémiologique sérieuse à ce sujet –. Les autres facteurs associés qui sont incriminés à cet effet sont la sédentarité et la quasi absence de culture d’activités sportives régulières.

L’approche de la santé publique doit être globale en imbriquant plusieurs paramètres. Des mesures de protection et de contrôle des produits importés, innover des modèles de productions efficientes pour booster des filières locales promptes à répondre aux besoins immédiats des populations. Celles-ci offrent la garantie d’une production saine, « bio » diraient certains, et d’une plus grande accessibilité. Enfin, une incitation à des comportements individuels responsables, d’hygiène de vie marquée par à la fois par une alimentation équilibrée penchant davantage sur les fruits et légumes que sur les protéines animales et de la nécessité absolue de maintenir un environnement propre. Ce combat incombe à tout le monde. Dans ces conditions, la « santé pour tous » ne sera plus un slogan mais une réalité.

Sayon Dambélé, Sociologue de la santé



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