L’article 51 de la Constitution peut-il servir de base juridique à un changement de Constitution ? Réponses de Maître Traoré

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En droit, on dit souvent « qui peut le plus peut le moins ». A contrario « qui ne peut pas le moins ne peut pas le plus ».

Pour essayer d’éclairer davantage les non juristes, dans un langage plus accessible, sur les dispositions de l’article 51 de la Constitution qui, on le sait déjà, est relatif au référendum législatif et non au référendum constitutionnel, il est utile de jeter un regard sur des dispositions semblables dans certains pays ouest-africains et d’évoquer même sommairement la pratique qui en a été faite.

Mais avant, il est important d’indiquer que dans la plupart de  ces pays, c’est  l’article 11 de la Constitution française du 4 octobre 1958 qui a servi de source d’inspiration, comme très souvent d’ailleurs sur d’autres questions, en matière de référendum législatif même s’il y a eu des adaptations dans tel ou tel pays.

L’article 11 alinéa 1er de la Constitution de la France dispose : «  Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant le durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».                                                                  

Sur le continent africain, des dispositions similaires figurent dans les Constitutions du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Burkina Faso et du Niger pour ne citer que ces pays qui partagent avec la Guinée l’appartenance à certains ensembles économiques et juridiques et un passé colonial commun sur bien des points.

En Guinée, le référendum législatif était déjà prévu par la Loi Fondamentale du 23 décembre 1990 révisée le 11 novembre 2001 qui disposait en son article 45:

« Le Président de la République peut, après avoir consulté le Président de l’Assemblée Nationale, soumettre au référendum tout projet de loi sur l’organisation des pouvoirs publics, concernant les libertés et les droits fondamentaux ou l’action économique et sociale de l’Etat, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité.

Il doit, si l’Assemblée Nationale le demande par une résolution adoptée à la majorité des deux tiers des membres qui la composent, soumettre au référendum toute proposition de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou concernant les libertés et les droits fondamentaux.

Avant de convoquer les électeurs par Décret, le Président de la République recueille l’avis de la Cour Suprême sur la conformité du projet ou de la proposition à la Loi Fondamentale.

En cas de non-conformité, il ne peut être procédé au référendum.

La Cour Suprême veille à la régularité des opérations de référendum. Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition, il ou elle est promulgué dans les conditions prévues à l’article 62 ».

L’article 51 de la Constitution du 7 mai 2010 n’a donc fait que reprendre les dispositions de l’article 45 de la Loi Fondamentale du 23 décembre 1990 en tenant compte des changements intervenus en particulier sur le plan institutionnel avec la création notamment d’une Cour Constitutionnelle.

Le référendum législatif était donc connu en droit constitutionnel guinéen depuis 1990 et l’article 45 de la Loi Fondamentale de 1990 est l’aîné de l’article 51 de la Constitution de 2010.

La question qui est posée aujourd’hui et qui divise les juristes guinéens est celle de savoir si les dispositions de l’article 51 de la Constitution peuvent servir de base juridique à un changement de Constitution.

En 2001, la question ne s’était pas posée puisque le référendum constituant ne portait pas sur l’adoption d’une nouvelle Constitution mais sur une révision constitutionnelle portant en particulier sur les dispositions de l’article 24 de la Loi Fondamentale relatives à la durée et au nombre de mandats du Président de la République.

La question de la révision constitutionnelle étant à l’époque régie par l’article 91 de la Loi Fondamentale, l’article 45 de celle-ci ne posait aucun problème.

Pour répondre à la question relative à la possibilité ou non de procéder à un changement de Constitution sur le fondement de l’article 51 de la Constitution en vigueur, il y a lieu d’exposer les thèses en présence avant de jeter un regard dans les pays voisins.

                      I- LES THESES EN PRESENCE :

Il y a deux thèses qui s’affrontent : celle de ceux qui soutiennent que l’article 51 de la Constitution peut bien servir de base à un changement de Constitution (thèse A) et celle des adversaires de cette position c’est-à-dire ceux qui soutiennent qu’aucune disposition de cette Constitution ne donne au Président de la République la possibilité de faire changer la Constitution (thèse B).

                                    1-   LA THESE A :

Un certain nombre de juristes soutiennent que les dispositions de l’article 51 de la Constitution parlent de « tout projet de loi » sans aucune distinction quant à la nature de la loi. Dès lors, il ne faut pas distinguer là où la loi n’a pas distingué, disent –ils.

Ainsi, partant de là, ils soutiennent que le Président de la République peut soumettre au référendum un projet de Constitution dans la mesure où celle-ci entre aussi dans la catégorie des lois au sens large du terme.

Ces juristes ont sans doute à l’esprit l’interprétation qu’avait donnée en 1962 le Général Charles de Gaule à l’article 11 de la Constitution française encore qu’il s’agissait à l’époque d’une simple révision constitutionnelle portant sur le mode d’élection du Président de la République et non d’un changement de Constitution.

                                    2– LA THESE B :

Selon cette thèse, la polysémie du terme « loi » ne peut pas permettre de soutenir avec des arguments solides qu’il s’agit de toutes sortes de lois y compris la Constitution considérée comme la Loi fondamentale ou suprême d’un pays.

Le projet de loi, par opposition à la proposition de loi, vise un « texte d’initiative gouvernementale soumis au vote du Parlement ». Il ne peut donc s’agir que d’une loi ordinaire que le Président de la République envisage de faire adopter directement par le peuple et non par ses représentants élus (les députés). C’est comme si pour l’adoption d’une telle loi, les citoyens devenaient eux-mêmes les législateurs, les députés, les parlementaires.

C’est cela le référendum législatif. Il porte sur une loi ordinaire et non sur une loi constitutionnelle. Il ne permet même pas une révision constitutionnelle a fortiori un changement de Constitution.

Cette thèse semble être la plus largement soutenue par les constitutionnalistes ou les juristes qui s’intéressent aux questions constitutionnelles.

                  II-  REGARD SUR LES CONSTITUTIONS ETRANGERES :

Ce regard sera porté sur les Constitutions sénégalaise, ivoirienne, malienne, nigérienne, béninoise et burkinabè.

L’examen de ces différents textes permet de faire les observations suivantes :

                  1-  EXEMPLE DU SENEGAL :

Dans la Constitution sénégalaise de 1963, l’article 46 disait ceci :

« Le Président de la République peut, sur la proposition du Premier Ministre et après avoir consulté les présidents des assemblées et recueilli l’avis du Conseil Constitutionnel, soumettre tout projet de loi au référendum ».

Sur le fondement de ces dispositions qui, de toute évidence, se rapportaient au référendum législatif, le Président Abdoulaye Wade, élu le 19 mars 2000, a engagé un référendum constituant qui a donné lieu à l’adoption le 7 janvier 2001, de la Constitution du 22 janvier 2001 qui est la 3ème  Loi Fondamentale du Sénégal.

Mais avant d’engager le processus constitutionnel, et en raison de la controverse née de l’utilisation de l’article 46 de la Constitution en vue de l’adoption d’une nouvelle Constitution, il avait préalablement  pris soin de demander l’avis du Conseil Constitutionnel qui, dans sa décision N°3/2000 du 09 novembre 2000 déclarait ceci :

« Le Conseil Constitutionnel considère que le Président de la République tient de cette disposition constitutionnelle le droit d’initiative au référendum sans distinction entre la matière constitutionnelle et la matière législative ».

Cet avis qui, comme son nom l’indique, n’était qu’un simple avis, a fait l’objet de critiques tant sur la forme que sur le fond.

Et d’ailleurs, comme si les rédacteurs du projet de Constitution n’étaient pas eux-mêmes convaincus par l’avis du juge constitutionnel, ils ont fini par reconnaitre implicitement que « projet de loi » ou « loi » n’étaient pas synonymes de « projet de constitution » ou « Constitution ».

En effet dans l’article 51 de la Constitution du 22 janvier 2001, adopté sous la présidence de Maître Abdoulaye Wade, on peut lire ceci :

« Le Président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Président de l’Assemblée Nationale, du Président du Sénat et du Conseil Constitutionnel peut soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum.

Il peut, sur proposition du Premier Ministre, et après avoir recueilli l’avis des autorités ci-dessus indiquées, soumettre tout projet de loi au référendum ».

Il faut noter au passage que c’était avant la suppression du Sénat en septembre 2012 et le poste de Premier Ministre en 2019.

Ainsi, la Constitution de 2001 reconnait que « projet de loi » ne signifie pas nécessairement « projet de loi constitutionnelle » ou «Constitution » sinon elle aurait maintenu « projet de loi » qui englobe toutes les lois y compris la loi constitutionnelle et même la Constitution.

Elle a admis que l’expression « projet de loi » doit être entendue au sens de « loi ordinaire ».

                       2-  EXEMPLE DU BENIN :

Dans la Loi N°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin, l’article 58 dispose :

« Le Président de la République, après consultation du Président de l’Assemblée Nationale et du Président de la Cour Constitutionnelle, peut prendre l’initiative du référendum sur toute question relative à la promotion et au renforcement des Droits de l’Homme, à l’intégration sous-régionale ou régionale et à l’organisation des pouvoirs publics.

L’article 58 ci-dessus ne parle pas de texte. On pourrait donc dire qu’il peut s’agir d’un référendum législatif ou d’un référendum constitutionnel. Mais si l’importance de la question à soumettre au référendum nécessite une révision constitutionnelle, ce sont les dispositions de l’article 154 qui devraient s’appliquer.

Cela dit, il est difficilement concevable que ce texte puisse servir de base à un changement de constitution.

                                 3-  EXEMPLE DE LA COTE D’IVOIRE :

L’article 75 alinéa 1er de la Loi N°2016-886 portant Constitution de la Côte d’Ivoire dispose : 

« Le Président de la République, après consultation du bureau du Congrès, peut soumettre au référendum tout texte ou toute question qui lui parait devoir exiger la consultation directe du peuple ».

En employant le terme « tout texte », le constituant fait une large ouverture en créant la possibilité de soumettre toute loi quelle qu’en soit la nature.

Il peut s’agir d’une loi ordinaire, d’une loi organique, d’une loi constitutionnelle ou même d’une Constitution.

Ici, la question de la nature de la loi ne se pose pas puisque le terme « texte » englobe pratiquement toutes les catégories de règles juridiques.

                              4-   EXEMPLE DU MALI :

Dans la Constitution malienne du 12 janvier 1991, il est prévu un article 41 aux termes :

« Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition de l’Assemblée Nationale pendant la durée des sessions, après avis la Cour Constitutionnelle publié au Journal Officiel peut soumettre au référendum toute question d’intérêt national, tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d’un accord d’union ou tendant  à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des Institutions ».

Dans le cas malien, un référendum peut porter non seulement sur un « projet de loi » mais sur « toute question d’intérêt national ».

Une telle formulation pourrait permettre d’engager un référendum constituant puisque l’adoption d’une nouvelle Constitution ou la révision d’une Constitution constitue à n’en pas douter une question d’intérêt national.

Toujours est-il qu’il existe des dispositions relatives à la révision de la Constitution.

                    5- EXEMEPLES DU NIGER ET DU BURKINA FASO :

Les Constitutions nigérienne et burkinabè sont presque identiques.

En effet, l’article 60 alinéa 1er de la Constitution du Niger de 2010 dispose :

« Le Président de la République peut, après avis de l’Assemblée Nationale et du Président de la Cour constitutionnelle, soumettre au référendum tout texte qui lui parait devoir exiger la consultation directe du peuple à l’exception de toute révision de la présente Constitution qui reste régie par la procédure prévue au Titre XII ».

Le Titre XII est consacré à la révision constitutionnelle.

De son côté, la Constitution « burkinabèe » indique en son article 49 alinéa 1er.

« Le Président de la République peut, après avis de l’Assemblée Nationale et du Président de la Cour constitutionnelle, soumettre au référendum tout texte qui lui parait devoir exiger la consultation directe du peuple à l’exception de toute révision de la présente Constitution qui reste régie par la procédure prévue au Titre XV».

Le Titre XV est consacré à la révision constitutionnelle.

En analysant les textes nigériens et burkinabès, l’on s’aperçoit que le constituant a maintenu la possibilité d’un recours au référendum du législatif.

Mais pour éviter tout détournement de  cette procédure ou toute manœuvre frauduleuse, il a pris soin d’indiquer que ce référendum ne peut pas porter sur une révision de la Constitution qui, elle, est soumise à des dispositions particulières.

                                            CONCLUSION :

Ce bref survol de quelques textes constitutionnels en matière de référendum législatif montre que, le constituant guinéen a été  plus clair en faisant une distinction nette entre le référendum législatif et le référendum constituant.

Seuls les constituants nigériens et burkinabès sont allés plus loin dans la précision. Ces derniers ont dû s’inspirer d’exemples de détournements de procédure ou d’usages frauduleux du référendum législatif en lieu et place d’un référendum constitutionnel. En effet, pour éviter une interprétation tendancieuse des dispositions concernant les questions susceptibles d’être soumises au référendum, ils ont pris soin d’ajouter que ce référendum ne peut en aucun cas conduire à une révision constitutionnelle.  

C’est dire que le référendum législatif dans ces deux pays(le Niger et le Burkina) ne peut pas permettre une révision constitutionnelle à plus raison un changement de Constitution.

En droit, on dit souvent « qui peut le plus peut le moins ». A contrario « qui ne peut pas le moins ne peut pas le plus ».

En ce qui concerne la Guinée, l’article 51 de la Constitution ne peut pas permettre une révision constitutionnelle à plus forte raison un changement de Constitution et ce, depuis la Constitution de 1990 révisée en 2001.

Si le constituant guinéen voulait permettre une révision constitutionnelle ou un changement de Constitution par le biais de l’article 51, il aurait employé des termes susceptibles d’être interprétés de façon très large, comme « tout texte » ou « toute question d’intérêt national » sans aucune précision. Mais il a choisi des termes qui ont une définition précise en droit : « projet de loi » et « proposition de loi ».

Mais ce qu’il faut noter, c’est qu’au-delà des textes, il convient de  tenir compte de l’esprit des textes. Un texte ne peut jamais prévoir toutes les situations et peut toujours laisser des failles susceptibles de faire l’objet d’une interprétation à tendance.

C’est ce qui s’est passé dans un pays de l’Afrique Centrale où un Président de la République avait été élu au suffrage universel indirect pour un mandat de cinq ans. Au cours de ce mandat, a été élaborée une nouvelle Constitution au terme de laquelle le Président de la République devait désormais être élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois.

Le Président de la République en fonction, s’étant fait élire sous l’empire de cette nouvelle Constitution, a mené ce nouveau mandat jusqu’à son terme.

Dans l’esprit de tous les acteurs politiques de l’opposition et de nombreux observateurs, il ne devait plus être candidat à une nouvelle élection présidentielle puisqu’il avait déjà exercé deux mandats.

Mais telle n’a pas été son interprétation. Pour lui et ses partisans, la première fois qu’il avait été élu, c’était au suffrage universel indirect. Or, la nouvelle Constitution parle de suffrage universel direct. Ainsi, il s’estimait en droit de briguer un autre mandat qui serait le deuxième sous le suffrage universel direct. Il s’est accroché au pouvoir avec tout ce que cela a entraîné et entraîne encore comme troubles dans son pays.

C’est dire qu’il n’y a pas une véritable démocratie sans de vrais démocrates.

Dans nos démocraties, il y a toujours une tendance à la manipulation des textes et plus particulièrement à la fraude constitutionnelle en vue de rester le plus longtemps au pouvoir.

Il faut espérer que la Guinée sera à l’abri de ces situations malheureuses pour lui permettre d’amorcer enfin son véritable décollage économique par l’exploitation rationnelle et bénéfique de ces immenses et diverses ressources naturelles.

  Mohamed TRAORE

  Avocat au Barreau de Guinée

  Ancien Bâtonnier de l’Ordre

  Ancien membre du CNT



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