Que dit le droit continental sur la limitation du nombre de mandats présidentiels ? L’explication du juriste Mohamed B CAMARA

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(Ce texte n’est pas, pour le lecteur, une invitation à réciter des noms d’oiseaux sur l’Union africaine. L’approche se veut pragmatique et traite de questions de fonds. C’est pourquoi toute réflexion doit porter sur le texte dont il est question ainsi que sur la pratique des États).

En effet, ce matin je me suis accordé une promenade sur le site de l’Union africaine (UA). J’avais pour objectif de procéder à une analyse de la mise en application de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance, adoptée le 30 janvier 2007 sous l’égide de l’UA. Cette Charte devait entrer en vigueur à partir du 15ème instrument de ratification déposé auprès de la Commission de l’Union. C’est désormais chose faite depuis le 15 février 2012 : la Charte est entrée en vigueur pour être opposable aux États l’ayant ratifiée.

Que dit cette Charte ? Entre autres, la Charte dispose en son article 23 que constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement : « [… ] 5. Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique ». Autrement dit, toute révision de la Constitution en vue de lever le verrou constitutionnel de la limitation du nombre de mandats présidentiels constitue une violation de la Constitution. L’expression  « tout amendement ou toute révision des Constitution ou des instruments juridiques » s’entend au sens large pour inclure tout procédé pour contourner l’interdiction de faire échec au principe de l’alternance démocratique : cela incluant l’acte par lequel un dirigeant procèderait à une révision constitutionnelle ou adopterait une nouvelle Constitution, avec la possibilité de faire un ou deux mandats supplémentaires (tout dépend de sa gourmandise).  C’est le traité multilatéral auquel nos dirigeants ont donné leur consentement à être liés. Dans un article consacré aux changements anticonstitutionnels de gouvernement, Joseph Kazadi Mpiana a expliqué avec éloquence, les enjeux et raisons pour lesquelles les chefs d’Etat et de gouvernement du continent africain ont posé eux-mêmes des limites au nombre de mandats auxquels ils ont droit : « … plutôt que de favoriser le jeu démocratique, les élections apparaissent comme le moment propice pour exacerber des tensions et dégénérer en violences. C’est pourquoi nous osons soutenir que l’intérêt des élections en Afrique réside dans la possibilité de favoriser l’alternance démocratique dans la mesure où les détenteurs du pouvoir, candidats à leur propre succession, de surcroit de manière indéfinie, sont enclins à le perpétuer même au prix des conséquences fâcheuses ».

Maintenant quid de la conviction des dirigeants africains à respecter leurs engagements ?

L’Algérie, dont le président fait feu de tout bois pour un cinquième mandat en 2019, avait pourtant ratifié ce traité le 20 novembre 2016, après avoir fait adopter une révision constitutionnelle limitant le nombre de mandats présidentiels à deux. Finalement, ce sont davantage ses problèmes de santé qui le contraignent à renoncer à se porter candidat pour un cinquième mandat, sous la pression de la population algérienne. On a également le cas de Blaise Compaoré, dont le pays avait pourtant ratifié la Charte le 26 mai 2010 : pourtant en 2014, le parlement burkinabè voulait faire sauter le verrou constitutionnel pour permettre au président de se présenter à un 5e mandat. Le peuple s’est révolté, Blaise Compaoré s’est vu contraint à la démission (avant la fin du mandat qui était en cours).

Et que dire du cas rwandais ? Le Rwanda a ratifié le traité le 9 juillet 2010, mais son président a fait modifier la Constitution en décembre 2015 pour faire sauter le verrou constitutionnel. Il a été réélu en août 2017 pour un troisième mandant, sachant qu’il est au pouvoir depuis 18 ans révolus. Enfin, dans la série des exemples, terminons sur le cas du Cameroun qui avait ratifié le traité le 16 janvier 2012, avec un Paul Biya (au pouvoir depuis 36 ans) réélu en octobre 2018 pour un 8e mandat. A sa décharge cependant car son pays avait levé le verrou constitutionnel en 2008, donc bien avant l’adhésion du pays au traité dont nous débattons. A sa charge ensuite, car la volonté manifestée en 2012 aurait dû être matérialisé par une (adaptation de la législation nationale ou) nouvelle modification constitutionnelle limitant le nombre de mandats présidentiels.

Qu’en est-il côté guinéen ?

 La Guinée a exprimé son consentement à être lié par ce traité à trois reprises : 1. Au moment de sa signature le 9 mai 2007 ; 2. Au moment de sa ratification le 17 juin 2011. 3. Au moment où les instruments de ratification ont été déposés le 11 juillet 2011. C’est-à-dire que la Guinée, à l’instar des pays susmentionnés, est allée au bout du processus de l’expression de son consentement à être lié par ce traité. Ces engagements seront-ils respectés côté Conakry ?

En tout cas, pour conclure, retenons que les limitations constitutionnelles à base d’engagements multilatéraux n’auront pas suffis. Là où les peuples ont vaillamment exprimé leur désapprobation à tout projet de référendum sur la limitation du nombre de mandats présidentiels, les présidents se sont résolus à quitter le pouvoir. C’était le cas du Burkina Faso où le président a démissionné avant la fin de son mandat et maintenant de l’Algérie. Là où les peuples sont restés passifs ou n’ont pas osé s’opposer à de nouvelles révisions constitutionnelles comme au Rwanda ou au Cameroun, les présidents ont pu se présenter à nouveau et leur réélection s’est déroulée comme de simples formalités administratives, avec des scores avoisinant (parfois) les 100%, c’est-à-dire que la totalité des électeurs votants n’ont voté pour eux.

Pour l’année 2017, le budget de l’Union africaine s’élevait à 782 millions de dollars. Actuellement il est question d’instaurer une taxe dans les Etats membres afin que l’Union s’émancipe des 73% du financement extérieur de son budget.

Ce sont autant de milliards sur le dos des contribuables consacrés à des conférences pour des engagements jamais tenus !

Mohamed B. CAMARA

Juriste en droit public interne et international



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