En difficulté depuis plusieurs décennies et frappé par la mort de dix de ses jeunes joueurs en début d’année, le club brésilien est de retour au sommet. Il dispute, samedi, la finale de la Copa Libertadores contre River Plate, à Lima.
Tout le football sud-américain attendait Daniele de Rossi. En signant cet été à Boca Juniors, le club populaire de Buenos Aires, le champion du monde italien a bousculé le milieu du football, plutôt habitué à voir les joueurs traverser l’océan Atlantique dans l’autre sens. C’est pourtant d’un autre européen qu’est venue la lumière. Jorge Jesus, entraîneur portugais de 65 ans, a fait en quelques mois de Flamengo, le club de Rio de Janeiro, la grande attraction de cette fin d’année 2019.
Invaincu depuis 25 matchs, le Rubro-Negro écrase un à un ses adversaires et roule vers son premier titre de champion du Brésil depuis dix ans. Face au tenant du titre argentin, le River Plate de Marcelo Gallardo, le club carioca tentera également, samedi 23 novembre, de décrocher la deuxième Copa Libertadores de son histoire, après celle de 1981.
« Ce qui m’a convaincu de venir ici, c’est la grandeur de Flamengo. Les quatre clubs les plus célèbres du monde sont Flamengo, Boca Juniors, le Barça et le Real Madrid. Ici, j’aurai la possibilité de gagner la Libertadores et la Coupe du monde des clubs », déclarait Jorge Jesus, triple champion du Portugal avec Benfica (2010, 2014, 2015), lors de sa présentation, début juin.
A ce moment-là, rare étaient ceux qui le prenaient au sérieux. Avec ses plus de 40 millions de supporteurs dans tout le pays, Flamengo a certes gagné le surnom de « mais querido do Brasil » (le plus aimé du Brésil), mais hormis quelques coups d’éclat (championnat de 2009, coupes nationales de 2006 et 2013), son lot quotidien était surtout fait de déceptions sportives et de crises financières depuis plusieurs décennies.
Au panthéon du football brésilien, Flamengo (5 titres) se situe derrière les quatre grands de Sao Paulo : Palmeiras (10 titres), Santos (8), Corinthians (7) et le Sao Paulo FC (6).
Comment ce club, à l’origine fondé pour la pratique de l’aviron, dont la section de football est née au début du XXe siècle d’une scission chez le voisin et rival de Fluminense, a-t-il réussi à conquérir et fidéliser les masses ?
« Une hypothèse largement diffusée est que cette massification est étroitement liée au processus de médiatisation du Brésil, d’abord à travers la radio nationale fondée en 1936 et les quotidiens comme le Journal des Sports, puis avec la télévision à partir des années 1970-1980, qui correspondent à l’émergence de la génération Zico, la plus victorieuse du club jusqu’à aujourd’hui », développe Alvaro de Cabo, chercheur dans le domaine de l’histoire du sport et professeur à l’Université d’Etat de Rio de Janeiro (UERJ).
Cette période correspond aussi au trou d’air de la Seleçao, privée de titre mondial entre 1970 et 1994. Zico, l’un des plus grands numéro 10 de l’histoire du football brésilien, frustré avec la sélection, se rattrape avec le maillot rouge et noir de Flamengo, qui devient le premier à être floqué d’un sponsor au pays (Petrobras, en 1984).
Brillamment entouré par les Carlos Mozer, Junior, Andrade et Leandro, le capitaine flamenguista remporte quatre titres de champion dans les années 1980, en plus de la Copa Libertadores et de la Coupe Intercontinentale contre le Liverpool de Kenny Dalglish.
Ces exploits, diffusés d’un coin à l’autre du Brésil, font de Flamengo l’emblème national, à une époque où les clubs de Sao Paulo sont en retrait.
Redressement financier
Ces six derniers mois, après une longue absence, Flamengo s’est donc remis à enchanter le pays, grâce au football offensif prôné par son coach portugais et à un effectif riche et expérimenté.
C’est le résultat d’une reprise en main du club, en 2013, par le président Eduardo Bandeira de Mello, qui, pour éponger les dettes et entrer dans l’ère du football moderne, s’est appuyé sur le principal actif du club : ses millions de supporteurs.
Le programme socio-torcedor, qui permet aux fans disposant d’un abonnement mensuel au club d’être prioritaires dans l’achat des places, et la création d’Ambassades de Flamengo dans tout le pays et même à l’étranger a permis de fidéliser le public et de remplir les caisses du club, en plus de quelques ventes record de joueurs (Vinicius au Real Madrid pour 45 millions d’euros à l’été 2018 et Paqueta au Milan AC pour 35 millions en janvier 2019).
« La direction a fait les choses dans l’ordre : résoudre les problèmes extra-sportifs, monter une grande équipe. Beaucoup font le contraire au Brésil. Aujourd’hui, Flamengo, qui possède le meilleur centre d’entraînement du pays, est un modèle pour les autres clubs », argue Abel Braga, l’éphémère coach de l’Olymopique de Marseille (2000) et prédécesseur de Jorge Jesus sur le banc de touche du Rubro-Negro.
Le drame du Ninho do Urubu
Cette réussite donne des idées jusqu’au sommet de l’Etat. Lors de sa visite en Chine, fin octobre, Jair Bolsonaro, le président d’extrême-droite, supporteur de Palmeiras, avait offert un maillot de Flamengo à son homologue Xi Jinping. « C’est la meilleure équipe brésilienne du moment. Tout le Brésil est Flamengo et je suis sûr que les 1,3 milliard de Chinois le seront aussi lors de la finale », avait-il déclaré.
Déjà en juin, il s’était affiché lors d’un match en compagnie de son ministre de la justice, Sergio Moro, fragilisé trois jours plus tôt par les révélations de The Intercept sur son manque d’impartialité dans le dossier Lula.
Cette année avait pourtant bien mal commencé. Dans la nuit du 8 février un incendie s’est déclaré au « Ninho do Urubu », où étaient logés les jeunes joueurs du club. Dix d’entre eux ont perdu la vie. « Cet événement très douloureux, qui a laissé des marques à tous les niveaux du club, dit Abel Braga, qui était alors aux commandes de l’équipe professionnelle. C’était terrible, on y pensait tous les jours en venant s’entraîner. Les joueurs n’ont jamais lâché dans cette épreuve. Les résultats d’aujourd’hui sont une forme d’hommage ».
Une victoire, samedi, contre River Plate marquerait une année décidément pas comme les autres pour Flamengo.
Source le Monde