Leçons électorales: Les enseignements des élections locales du 4 février 2018

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Le 4 Février dernier, les guinéens ont voté pour choisir leurs administrateurs locaux. 9 mois après, l’on a assisté à l’installation des derniers exécutifs locaux dans les communes de Conakry, principalement à Ratoma, Matoto (même si  celles de cette dernière ont été invalidées). Au lendemain de cette élection et de ces installations, plusieurs enseignements se dégagent de ces scrutins locaux, que j’ai tenté de regrouper en 4 grands axes ou quatre enseignements.

Le premier grand enseignement de ces élections, est la percée des listes indépendantes. A part la Moyenne Guinée qui n’a presque pas connue de listes indépendantes, cette « révolution démocratique » a gagné les autres régions. De la Basse Guinée en passant par la Haute Guinée, jusqu’en Forêt, l’on a assisté à un véritable tsunami des listes indépendantes. La plupart de ces candidats ont tiré leur épingle du jeu en devenant maire ou conseiller. A Boffa, kaloum, Matam, Matoto, Coya, Fria, Faranah, Siguiri ou encore Nzérékoré, toutes ces communes auront des maires ou des conseillers issus des listes indépendantes.

Le second grand enseignement est la défaite sanglante du parti au pouvoir à Conakry, qui n’a gagné aucune commune. Pour beaucoup d’observateurs, cela représente une sorte de « gifle  électorale » que les Conakrikas ont infligée au processeur Alpha Condé et à son parti le RPG. C’est une vraie désaffection aux idéaux du parti au pouvoir. Ce qui voudrait dire  en quelque sorte l’échec du pourvoir Alpha à répondre aux aspirations légitimes du peuple

Le troisième grand enseignement, est  la victoire éclatante de l’UFDG à Conakry. Mine de rien, l’UFDG est devenu  à l’issue de ces élections, premier parti politique de la capitale.  Contrairement au RPG, l’UFDG  a été le grand gagnant de ces élections en raflant 3 communes sur 5 à Conakry. Ce qui est une grande première dans l’histoire démocratique de la Guinée. Le parti de Cellou Dalein Diallo a su saisir les vrais enjeux de ces élections locales en misant sur le choix des personnalités ayant une certaine assise dans leurs localités respectives. Ce choix stratégique a été payant non seulement à Conakry, mais aussi dans certaines villes de l’intérieur comme Fria. Il serait très important de rééditer cet exploit lors des prochaines échéances électorales. Toutefois, cette performance électorale du principal parti de l’opposition, est une victoire très significative, en ce sens qu’elle met en relief  un autre visage de ce parti considéré pour beaucoup comme communautaire.

Le quatrième grand enseignement est l’abstentionnisme électoral. Lors de ces élections, plus de 60% des électeurs ont tourné le dos aux urnes, ce qui ne permet pas d’avoir une lecture objective des performances des différents compétiteurs. Toutefois, il serait important de se questions sur les motifs de cette désaffection massive des urnes. Ces élections nous ont permis de comprendre que le fossé ne cesse de grandir entre l’électeur guinéen et les partis politiques.

Les raisons de cette abstention sont multiples et variées. La première cause était le manque de visibilité et à la non attractivité de l’offre politique qui est pourtant un « faisceau de paramètres qui structure le comportement politique », c’est pourquoi l’on a enregistré un taux d’abstention record. Autrement dit, il y a une forte corrélation qui existe entre l’offre politique et la participation électorale. Plus l’offre est attractive, plus la participation est élevée, et moins l’offre est attractive, plus l’abstention est élevée.

Par ailleurs, Plus les citoyens  sont nombreux à prendre part au vote, plus la possibilité pour que les partis politiques en compétition tirent leur épingle du jeu est grande. La mobilisation électorale est donc le résultat des incitations par lesquelles les entrepreneurs politiques travaillent à créer l’accoutumance au vote et réactivent à leur profit l’orientation passive ou active vers la compétition électorale.  Mais lors de ces élections l’on a donné un caractère présidentiel aux campagnes électorales surtout au niveau de la mouvance. Ce qui a, dans bien des cas perturbé les électeurs, en ce sens qu’ils n’arrivaient plus à faire la différence entre ces élections locales et présidentielles.

L’on a aussi remarqué que les citoyens sont « prisonniers » de leur origine ethnique. Le cas de Kindia est un exemple illustratif ou  la problématique liée à l’appartenance ethnique a refait surface dans cette ville pourtant cosmopolite. Ce qui signifie, comme le souligne Gaxie, que la mobilisation ou le choix se repose de manière prépondérante sur les chaines d’obligations et de loyauté liées à l’ethnie ou à sa région.

L’autre cause est liée au type d’élection.  Dans bien des cas, l’abstention varie selon le type d’élection. En France par exemple les taux d’abstentions les plus élevés sont enregistrés lors des scrutins de second ordre, c’est à dire les municipales, les cantonales et surtout les européennes. La Guinée aussi n’a pas dérogé  à cette règle.  Les élections du premier ordre (présidentielles et législatives) apparaissent comme les scrutins majeurs et qui mobilisent beaucoup. Le différentiel de participation entre les deux types d’élections est de plus de 10 points. Autrement dit, les élections du second ordre (communales et communautaires) mobilisent peu. C’est pourquoi, l’on a connu  le pic d’abstention jamais enregistré dans l’histoire démocratique de la Guinée. Plus de 60 % des guinéens  n’ont  pas accompli leurs devoirs civiques.  Comme souligné plus haut, Ce  taux très élevé est dû en grande partie à un manque de lisibilité des enjeux politiques, la population guinéenne étant analphabète dans sa majorité, les acteurs politiques (CENI et partis politiques) n’ont pas eu suffisamment de temps de campagne (deux semaines) pour mieux expliquer l’importance du choix des administrateurs locaux afin de mobiliser un grand nombre d’électeurs.

l’on peut aussi dire que ces élections ont provoqué un déficit de confiance pour beaucoup de citoyens qui ont estimé que leurs votes n’ont plus d’importance dans la mesure où ils n’apportent aucun changement à leurs problèmes et ne permettent pas d’assurer l’alternance. Sur ce, en Guinée comme dans bien d’autre démocraties, il y a une certaine hiérarchisation des votations, c’est à dire un état de faits matérialisé par différents degré d’abstention. Plus les enjeux d’une élection sont perçus comme importants, plus les citoyens ont tendance à se mobiliser.

En somme, s’il est vrai que ces élections  ont connu une certaine révolution démocratique au niveau de la démultiplication des listes indépendantes et surtout de la victoire de l’UFDG à Conakry, force est de reconnaître qu’elles ont été de véritables régression démocratique pour le pays. L’on a assisté à un véritable fiasco électoral suite au changement du code électoral, qui consiste à élire le maire via le système des grands électeurs. Ce qui s’est passé à Matoto, à Dixinn, à Kindia, sont des faits révélateurs de la médiocrité démocratique instaurée par nos disputés. Ce mode de choix, peut permettre à certains candidats d’être élus maire sans pourtant avoir la légitimité populaire c’est-à-dire la majorité des votants. C’est pourquoi, il serait primordial de rendre à la population sa souveraineté. Autrement dit, la possibilité de choisir ses administrateurs locaux en revenant à l’ancien mode de choix de nos maires, en abrogeant cette loi le plus rapidement que possible.

Ces  élections permettent-elles de mesurer la force électorale des différents partis ? Il serait difficile de donner une réponse positive à cette question dans la mesure où  le silence des urnes a dépassé les 60%. Cependant, les échéances électorales à venir nous édifieront sur cette question.

La lutte a été atroce, les yeux sont maintenant braqués sur ces nouveaux élus, quant à leur capacité à répondre aux aspirations légitimes du peuple. Un administrateur local, est avant tout un élu de proximité, donc son appartenance politique ne doit avoir aucune incidence sur sa performance managériale des affaires locales. Le peuple a commencé hier à noter dans son cahier de l’histoire, et rendra compte à la fin des mandats. Espérons que la politique politicienne ne gâche pas l’espoir de ces populations locales.



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