LE VOTE ETHNIQUE UN DANGER POUR NOTRE DÉMOCRATIE ET NOTRE VIVRE ENSEMBLE : ACTE III

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Dans nos précédentes éditions, nous avons parlé de la genèse de ce phénomène en nous intéressant à la période coloniale et les premiers moments de l’indépendance.

Après la mort de Sekou en 1984, le CMNR(Comité Militaire de Redressement National) suite à un coup d’état militaire s’empara du pouvoir et Lansana Conté devenait le Président de la République, il libéra les prisonniers politiques et a ouvert le pays au monde extérieur, tout en coopérant avec les autres nations sur la base de la réciprocité des avantages.

Le 5 Juillet 1985, suite à la tentative du coup d’état avorté, selon Bano Barry dans son ouvrage les violences collectives en Afrique il y a eu « l’arrestation et la condamnation de 82 civils et 129 militaires, dont 16 anciens ministres, 16 autres étaient des cadres subalternes ( surtout des épouses et des parents de Sekou) et les 50 autres étaient des cadres supérieurs occupant des fonctions administratives importantes. Des 129 militaires, 98 étaient des officiers ( dont un général, 3 colonel, 13 chefs de bataillons et 21 capitaines qui occupaient tous de hautes fonctions dans l’administration ou dans l’armée) et 18 des sous officiers » il ajoute, « sur les 129 militaires et 82 civils arrêtés, jugés et condamnés, ne recouvreront la liberté que 46 militaires». Il est à noter que la plupart de ces personnes étaient des cadres Malinkés ou des proches de Sekou Touré. Cette « exclusion des cadres Malinkés » des postes importants de l’administration et de l’armée va conduire cette communauté à un repli identitaire et une mise en place d’un front contre Conté, et la suite nous la connaissons.

Ces éléments cités plus haut, permettent de comprendre la problématique de « An gbenssanlé ». C’est suite à ce repli identitaire que «Körö Président» sera « fabriqué » pour représenter cette communauté.

Ce phénomène va atteindre son apogée en 2010 avec les élections présidentielles. Pour le comprendre, il suffit juste de faire un croisement entre plusieurs variables telles que : l’appartenance ethnique et le pourcentage de vote dans chaque région.

Même s’il est difficile de déterminer le pourcentage de chaque ethnie dans la population générale en ce sens qu’il n’existe aucun document récent et fiable ayant des chiffres précis et permettant « d’étayer ces perceptions empiriques », nous affirmons avec certitude que les trois grands groupes ethniques de la Guinée sont Peuls, Malinkés et Soussous. D’ailleurs selon Charles, il y avait en 1968 :

PEULS

28.60%

MALINKES

22.40%

SOUSSOUS

13.00%

KISSIS

7.50%

GUERZE

4.20%

TOMAS

3.50%

AUTRES

20.80%

Ce tableau met en relief les trois grands groupes ethniques en Guinée. Ainsi, lors des élections présidentielles de 2010, les trois candidats sur le podium étaient issus ou proches de ces trois grands groupes ethniques. Ce sont : Cellou Dalein Diallo candidat de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) qui a obtenu 43.69% des suffrages, de « l’opposant historique » Alpha Conde, candidat du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) qui a obtenu 18.25% et de Sydia Touré de l’Union des Forces Républicaines (UFR), qui a obtenu 13.62% (CENI, 2010). Selon ces chiffres, ces élections permettent de comprendre que ces trois candidats ont bénéficié de la puissance démographique de leurs différentes ethnies. Autrement dit, Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé ont obtenu des résultats soviétiques dans leurs régions : Cellou Dalein Diallo a obtenu 80,66% à Mamou, 85,72% à Pita, 90,71% à Labé , 90,13% à Tougué , 84,83 à , Mali Yemberin. Alpha a aussi obtenu au second tour en Haute Guinée. 93,30% à Kankan, 97,87% à Kourousa, 94,95% à Siguiri et 83% à Kerouané, quand à Sidya, il etait en tête à Boffa, Coyah, Matam, Kaloum. Ces données sont  donc révélatrices de l’ethnicisation du vote dans notre pays.

Ainsi, l’on voit que Cellou Dalein Diallo avait raflé partout en Moyenne Guinée, Alpha Condé s’est imposé en Haute Guinée et Sydia Touré en Basse Guinée. Ces faits permettent de mettre en relief le poids du facteur ethnique dans la détermination des attitudes et des comportements électoraux en général et le vote en particulier en Guinée.

Ainsi, l’on pourrait se poser la question suivante : en 2010, y-a-t-il eu un vote à caractère ethnique en Guinée ? Oui, et sans aucune ambiguïté si l’on se réfère au principe selon lequel il y a eu une certaine corrélation entre le choix des électeurs et leur appartenance ethnique ou régionaliste : la majorité des Peuls a voté pour le « candidat Peul », la majorité des Malinkés a voté pour le « candidat Malinké » et le candidat proche de l’ethnie Soussou a eu le soutien de ce groupe. Autrement dit, l’appartenance ethnique de chacun des candidats et celle des électeurs, a lourdement été déterminant dans le choix de ce dernier. Cellou Dalein Diallo de l’ethnie Peul a presque fait le plein de voix dans la région du Fouta, majoritairement peuplée par les Peuls. Malinké, Alpha Condé a quant à lui obtenu d’excellents résultats dans son fief de la Haute Guinée majoritairement habitée par des Malinkés, et Sydia Touré a presque raflé dans les villes de la Basse Guinée, sa région natale. Ainsi, la performance électorale obtenue par chacun des candidats est due en grande partie à leur appartenance ethnique ou régionaliste.

Donc, l’on peut dire qu’ici, chacun des candidats se sert de l’ethnicité comme étant une stratégie de mobilisation électorale, en ce sens qu’ils se sont tous basés sur cette instrumentalisation ethnique pour avoir un poids électoral. De fait, ils orientent leurs mobilisations vers les électeurs avec lesquels ils ont un patrimoine commun, partageant la même culture ou une même langue.

A travers nos différentes publications sur ce phénomène, nous avons tenté de comprendre la genèse de ce phénomène et sa pratique dans notre pays. Les différents points traités démontrent qu’il existe bel et bien un vote à caractère ethnique dans notre pays.

Cependant, l’autre question que l’on peut se poser est : quelles sont les conséquences de ce phénomène dans la démocratisation de notre pays ? La réponse dans nos prochaines éditions.



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