Sekou Touré, 37 ans après sa mort, les guinéens toujours divisés : Héros ou tyran ? Une analyse contextuelle d’un Sociologue

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 Le 26 Mars 1984, le 26 Mars 2021, cela fait 37 ans depuis que le premier président Ahmed Sekou Touré a quitté ce monde. Depuis cette date, les observateurs de la vie politique sont partagés sur l’œuvre de l’enfant de Faranah. Pour certains, il était un Héros tandis que d’autres le considèrent comme un tyran. Héros ou tyran ? Le sociologue Sayon Dambélé a tenté de répondre à cette question

 Pour lui : « Les purges qui ont accompagné les vingt-six ans de pouvoir de Sékou Touré clivent la société guinéenne. Il ne s’agit pas pour moi de prendre parti dans ce débat pour savoir si les victimes, notamment du Camp Boiro – tristement célèbre camp, figure de la répression politique de la première république – étaient des coupables ou des innocents. Le chiffre de 50 000 morts évoqués régulièrement par l’association des victimes dudit camp (AVCB) est-il crédible ? Telle ou telle ethnie a-t-elle payé plus de tribut que les autres ? Plus généralement, Sékou Touré était-il un héros ou un fossoyeur de l’indépendance du pays ? Autant de questions qui ne trouveront pas de réponse dans ce post, c’eût été prétentieux de prétendre le contraire. Néanmoins, il me semble qu’on peut faire certaines observations contextuelles et historiques pour aider à la compréhension de cette époque trouble de notre histoire et des débats politiques et sociaux, sans cesse renouvelés, qui s’y rattachent. L’observation liminaire qu’il convient de faire, c’est de constater que le sujet « Sékou Touré » déchaîne des passions qui sont parfois irrationnelles et dogmatiques en Guinée. Celles-ci se font sur fond d’ethnicité et d’intérêts particuliers.

Le pouvoir politique en Guinée est perçu de manière multiple dans la société. Du point de vue du peuple, à tort ou à raison, le pouvoir est associé à une ethnie. Ainsi, le régime de Sékou Touré était vu, par une grande partie des Guinéens comme un pouvoir Malinké. Symétriquement la longue période du Général Lansana Conté à la tête de l’Etat (24 ans) a été aussi perçue comme « le pouvoir des soussous ». Même l’intermède assez court du Capitaine Dadis Camara, chef de la junte, a été taxé par beaucoup de Guinéens comme un tremplin pour l’ethnie guerzé, qui aurait pris une certaine revanche tant elle serait méprisée par les autres ethnies. Ces constats sont certes discutables, mais ils n’en demeurent pas moins qu’ils permettent de comprendre la psychologie des Guinéens face au pouvoir en place. Le sujet « Sékou Touré » n’échappe pas à cette règle ethnique. Heureusement que certains esprits courageux et éclairés, trop peu nombreux à mes yeux, résistent à cette tentation.

L’autre biais qui pollue le débat politique en Guinée tient à la position sociale et des intérêts des particuliers. A l’image de la théorie du centre et de la périphérie de l’économiste Egyptien Samir Amin, plus on est proche des cercles de pouvoir – quelle que soit son ethnie – plus on a tendance à soutenir ce pouvoir.

La dernière observation tient au contexte géopolitique de l’époque où le jeune Etat Guinéen était sous les feux de l’ancienne métropole, outrée du culot des dirigeants guinéens à s’affranchir de sa tutelle dès 1958. Cette marque de liberté a été interprétée par le Général De Gaulle comme un crime de lèse-majesté dont il fallait rendre gorge Sékou Touré. La guerre froide aidant, la Guinée se réclamant du bloc de l’Est était combattue par la France et ses soutiens du bloc Ouest. Dans ce contexte, moult tentatives de déstabilisation ont été menées contre la Guinée. Quid de la bonne graine de l’ivraie ? On peut raisonnablement se poser la question de la réalité des complots ourdis contre la Guinée. Ces derniers étaient-ils des stratégies pour écarter des adversaires politiques ? Ou bien s’agissait-il véritablement de tentatives de destruction du jeune Etat guinéen comme l’affirme par exemple l’ancien Gaulliste, Pierre Mesmer, Ministre d’Etat chargé des départements et territoires d’Outre-mer en reconnaissant explicitement dans ses mémoires que la France, à travers ses soutiens, a tenté une déstabilisation financière de la Guinée et même une élimination physique de son chef de l’Etat. De même, les évènements du 22 novembre 1970, en plein mois de Ramadan, avec son corollaire de plus de 300 victimes souvent civiles, confortent l’idée que le régime de Sékou Touré était une cible à abattre.

Pour autant, l’instauration d’un Etat policier, liberticide avec des méthodes d’intimidation et d’exécutions physiques de prisonniers ou d’adversaires politiques était-elle une réponse à la méfiance que courait le pays ? Les jugements expéditifs, les conditions inhumaines de détention, les tortures psychologiques et physiques et autres nombreuses exécutions physiques étaient-ils des réponses fiables pour combattre une adversité politique. Pour ma part, la réponse est négative sans ambiguïté. C’est tout l’enjeu de cette période. Il faut avoir le courage de condamner les violences, d’où qu’elles viennent, et de recontextualiser les choses. Mieux, il faut se servir de cette période difficile de notre histoire pour éviter les fautes du passé et construire le présent.

Le recours politicien et cynique aux purges de la première république est une ficèle trop grosse qui déshonore leurs acteurs. La demande légitime de reconnaissance de la douleur des familles peut être entendue mais dans une logique de réconciliation nationale, certainement pas dans une logique de fracture ethnique ou de manipulation politique. La longue construction et consolidation de notre démocratie passera par-là ».

 NB : une analyse contextuelle de Sayon Dambélé il y a deux ans



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