LETTRE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE: « C’EST VOTRE FAUTE » PAR DRAMANE DIAWARA

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Jusqu’à présent, je parlais d’éclipse de la raison à propos de la politique guinéenne, car je suis naturellement optimiste. Il se peut hélas que ce soit beaucoup plus grave.

Monsieur le président de la République, Il suffit de jeter un œil sur l’évolution du débat public pour mesurer les effets désastreux et détestables de votre politique depuis 2010 : emportement, passion excessive, militantisme borné, fanatisme, répression policière sauvage, mariages politiques incestueux, désacralisation de la fonction publique, exacerbation du repli ethnique, manipulation de la fracture mémorielle … On peut légitimement craindre la suite de votre régime en l’absence d’un comité de salut public.

Tout cela est la conséquence naturelle de l’éclipse de la raison.
Oui, monsieur le président de la République, car la raison ne vous habite plus. De champion de la démocratie, vous êtes passé au rôle d’architecte d’une République bananière.

Dans quelques années, quand vous ne serez plus au pouvoir sans doute, le RPG-Arc en ciel va prendre une raclée électorale. Mais entre-temps, cette bulle politico-mafieuse aura réussi à mettre la République sens dessus dessous, fragiliser le contrat social, achever la transformation de la nation en peuplades.
Beau bilan pour l’auteur de « Guinée : Albanie d’Afrique ou Néo Colonie Américaine ?» (sic) !

Les guinéens sont incapables de s’unir depuis 2010 pour construire une œuvre historique résiliente.

Monsieur le président de la République, c’est votre faute.
L’espoir d’une nouvelle ère démocratique en 2010 aurait été l’occasion de mettre en œuvre nos forces et nos ressources pour rattraper le retard économique de notre pays lié à une conjonction de facteurs exogènes et endogènes.

Pour l’instant, c’est surtout notre fragilité collective qui saute aux yeux.
Résultats d’une décennie de gouvernance insensée.

Faire de la vraie politique, c’est partir du réel et s’efforcer de résoudre les problèmes, au lieu de brasser du néant et d’entraver l’action des patriotes par des goujats. Et vous, monsieur le président de la République, vous avez passé une décennie à manipuler les masses, à créer la division, à promouvoir les crapules et les médiocres à tout à faire, à créer une bourgeoisie politico-médiatique avide de pouvoir et d’argent.
Vous englobez tout seul les défauts de tous vos prédécesseurs sans posséder une once de leurs qualités.

Quoi qu’il fasse et quoi qu’il dise, monsieur Cellou Dalein Diallo irrite beaucoup de monde et entretient à son corps défendant un climat politique insupportable.
Monsieur le président, vous le savez pertinemment, vous avez fabriqué et engraissé cet opposant. Il est l’opposant parfait pour vous.
Par son passé pas très glorieux, par ses incohérences politiques, enfin par son esprit de chapelle ethnique, monsieur Cellou Dalein Diallo est une sorte de caution pour vous. Il vous permet d’avoir un habillage démocratique et surtout de masquer votre incompétence à assurer les charges de l’Etat. Voilà pourquoi il vous plait d’alimenter une platonique rivalité politique entre les communautés ethniques de la nation. La technique est ancienne, elle a fait des effets sous d’autres cieux : monsieur François Mitterand, socialiste, président de la République française de 1981 à 1995, a favorisé la montée de l’extrême droite (le Front National) dans le seul but d’affaiblir la vraie opposition (l’opposition chiraquienne). Ainsi, le débat glisse du sommet de la raison (des programmes de société) vers les bas-fonds de la subjectivité (des instrumentalisations ethniques).

Monsieur le président de la République, à 83 ans, vous êtes un vieillard. Il est regrettable que ce soit le moment que vous choisissez pour vous soustraire de la sagesse et de la grandeur.
J’ai de plus en plus de mal à vous écouter parler. Vous n’articulez pas et il faut tendre l’oreille pour deviner vos mots et découvrir qu’ils sont parfois insipides. Ce n’est pas dû à votre incompétence d’élocution, c’est dû à la vieillesse. L’âge rend sénile et gâteux.

Monsieur le président de la République, à défaut de vous rattraper, l’histoire vous jugera. Elle ne sera pas clémente avec vous. Il n’y aura personne pour vous défendre. Ni vous, ni vos damnés éternels.
Oui, « il faut doter la Guinée d’une nouvelle Constitution moderne », quoi qu’il en coûte.
Quoi qu’il en coûte !
Je souscris à l’idée de modernité.
Je doute néanmoins qu’on puisse atteindre cette modernité avec ceux qui y ont jusqu’à présent tourné le dos , qui tournent le dos à la démocratie, à l’Etat de droit, à la bonne gouvernance et à l’unité nationale.
Une nation moderne, on la cultive, on la préserve, on la nourrit. Cela s’appelle le patriotisme. Une nation moderne se construit en renforçant les défenses naturelles de l’esprit citoyen contre la division, la bêtise, le fanatisme, la haine sous toutes ses formes.

Cessez d’utiliser le référendum pour préserver vos intérêts illégaux et abusifs, et tout le monde se portera mieux sans ces polémiques à deux sous.
Ne voulant pas ajouter de la polémique à la gabegie, je ne dirai plus rien sur la catastrophe dans laquelle votre gouvernement a plongé la Guinée, en quelques jours par ce scrutin (bourrage des urnes, menaces aux délégués autres que ceux du parti au pouvoir, violences électorales ), et en quelques années par une détestable politique.
L’addition, toutefois, est salée !

Mon parti a participé au scrutin. C’est son droit le plus absolu ! En revanche, il n’est nullement responsable des contradictions et absurdités de notre système politique qui sautent aux yeux.
Précurseur du Front pour la Défense de l’Ordre Constitutionnel (FNDC), j’ai quitté cette organisation à cause de ses incohérences et des inversions de valeurs qu’elle subit. Le manque d’anticipation du FNDC suite aux décisions annoncées par vous, monsieur le président de la République, me ferait rire s’il n’était révélateur de la misère dans laquelle des idiots, des fats, des nuls ont plongé ce noble front depuis longtemps. Ce qui est terrible, c’est que dans cette pagaille, les brasseurs de néant (FNDC version politique UFDG-UFR et mouvance RPG) continuent à étaler leur ignorance sur les réseaux sociaux et les chaînes de bavardage en continu à propos de la Constitution, de tout et de rien.
Il serait pourtant opportun que la RTG élève le niveau de ses programmes.
D’un mal sortirait un bien.

L’agonie de notre démocratie fœtale est une tragédie qui se déroule en silence sur notre sol et sous nos yeux bien que tous regardent ailleurs. Je suis désolé d’avoir dû écrire cette longue lettre mais il n’est plus possible de se taire.
Un pouvoir exécutif entièrement dominé par des goujats inamovibles et suffisants.
Une vieille classe politique entièrement soumise à des logiques ethniques.
Une population de moins en moins instruite, divisée et qui regarde ailleurs.
Continuer d’appeler cela une République est exagérée.
Si je continue de vous appeler président de la République, c’est encore par décence pour mon pays, son histoire et sa culture. Sinon, vous le savez, je n’ai plus d’égard pour vous. Vous n’illustrez plus votre fonction.

Monsieur le président de la République, votre dernier choix est d’une stupidité inconcevable. Vous auriez pu entrer dans l’histoire en organisant ces élections législatives dans de meilleures conditions et en favorisant l’émergence d’une classe politique plus responsable que la vôtre. C’est tout le sens de ma lutte : reconstruire la classe politique, et tout le reste suivra.

Tâche immense. Tâche urgente. Tâche noble.

Dramane DIAWARA
Membre de la direction politique de l’UDIR
Editorialiste guinéen, militant progressiste africain et homme de culture.



Journaliste, Correspondante à Conakry