Ces derniers temps, certains artistes critiquent leurs collègues pour avoir exprimé des louanges envers le Président, accusant ces derniers de chercher à obtenir sa sympathie. Ils affirment que ces comportements font honte à leur profession.
Ces critiques soulèvent la question du rôle de l’artiste dans la société. Certains estiment que l’artiste devrait jouer un rôle de dénonciation, soutenir les opprimés, et s’identifier à des causes qui, pour reprendre Camus, le défendront parce qu’il sera identifié à une communauté de destin. Selon cette vision, l’artiste serait un combattant pour diverses causes telles que la justice et la lutte contre les inégalités. C’est pourtant bien plus complexe .
Victor Hugo illustre parfaitement cette complexité. Bien qu’il soit reconnu pour ses critiques acerbes des injustices sociales et politiques dans des œuvres comme Les Misérables et Notre-Dame de Paris, il est aussi célèbre pour ses changements d’opinion fréquents. Au début de sa carrière, Hugo était un fervent bonapartiste, soutenant Napoléon III. Toutefois, il a rapidement évolué vers une position républicaine, devenant un ardent défenseur de la Troisième République et de la justice sociale. Cette volte-face, qui a conduit certains à le qualifier de « girouette », montre à quel point les convictions d’un artiste peuvent évoluer avec le temps et les circonstances.
Cependant, l’artiste ne doit pas se voir assigner cette seule fonction de dénonciateur. Il peut choisir de parler d’amour en temps de guerre, d’évoquer la nature en période de malheur, ou de suivre d’autres vocations. William Shakespeare, à travers ses pièces, a exploré des thèmes variés, du drame à la comédie, montrant la richesse de l’expérience humaine au-delà des seules questions sociales. Sa mission artistique ne doit pas lui être imposée, sauf s’il est contraint de le faire.
Par essence, l’artiste est une personne libre, sans réticences morales, mais avec des limites artistiques qu’il se fixe lui-même. Pablo Picasso, par exemple, a traversé plusieurs périodes artistiques, du réalisme au cubisme, illustrant comment un artiste peut évoluer au cours de sa carrière. En tant qu’humain, ses opinions peuvent évoluer et se perfectionner. Il peut défendre une cause aujourd’hui et en soutenir une autre demain. Cette évolution ne doit pas être perçue comme une quête de profit ou une soumission, mais comme un processus de maturation. Un esprit qui ne change pas est un esprit limité. Une eau qui ne bouge pas pue , une opinion qui ne change pas provient d’un esprit sot. Victor Hugo dira que rien n’est plus dangeureux qu’une conviction qui n’a pas changé.
Il ne faut donc pas condamner l’artiste pour ses opinions ou pour le fait que ses points de vue changent. Qu’il évolue pour son propre intérêt ou pour celui de l’intérêt général, l’artiste n’est pas un décideur politique dont les actions doivent viser l’intérêt général. L’exemple de Flaubert, dont Madame Bovary critique la société tout en offrant une introspection personnelle, montre qu’un artiste peut aussi naviguer entre des engagements personnels et des réflexions sur le monde.
Il est crucial de préserver la liberté de création artistique, même si les opinions ou les choix des artistes varient.
